L’enfant a souvent été l’alibi parfait pour réintroduire sans ambages ce que la pudeur, l’expérience et l’assurance nécessaire à l’image de l’adulte ont progressivement oblitéré. C’est le retour de la fraicheur, de la spontanéité, de la découverte, ce frisson des premières fois et un regard renouvelé sur le monde, sa beauté, sa grandeur, les frayeurs qu’il dispense.
Autant de beautés perdues qui favorisent l’idéalisation d’une telle période, et occultent, dans le regard nostalgie de l’enfant perdu, les zones d’ombre de son passé.
En s’attaquant à sa propre jeunesse et au sujet ô combien pathétique de l’occupation et des rafles d’enfants juifs par les nazis, Louis Malle est encerclé de ce type de risques ; et force est de constater qu’il ne tombera dans aucun des pièges qui se présentent à lui.
Le regard sur l’enfance se fait par le prisme de l’honnêteté. Avant même d’aborder l’horreur barbare de ces temps obscurs, le cinéaste sonde une période de l’individu où sa construction se fait dans l’âpreté. La découverte amusée et avide de la sexualité, un thème quasi obsessionnel du récit où les Contes des 1001 nuits remplacent l’histoire du soir pour un gamin qui peinait cependant à quitter sa mère au 1er plan, et qui fanfaronne désormais devant les camarades de chambrée.
Le rythme est sec, sans musique off, par segments instantanés qui cartographie un quotidien où alterne la cruauté des pugilats par bizutage, des luttes de pouvoir ou des survivances d’une enfance plus lointaine, comme lors de cette chasse au trésor dans une forêt presque fantastique, où l’on s’inquiète des loups alors que d’autres types de prédateurs bien plus réels rodent sans qu’on en prenne encore conscience.
C’est donc une dynamique presque paradoxale qui se construit dans le parcours sentimental de ce protagoniste somme toute assez antipathique : des jupes de sa mère à la forfanterie, avant de découvrir une camaraderie qui ne prendra réellement du sens que face à l’horreur indicible. Jamais idéalisée elle non plus, la relation à Jean se fait au départ sur le modèle qu’avec les autres, dans une sorte de défi où il ne s’agit jamais de révéler sa sensibilité. L’un arrache les ailes d’une mouche, l’autre lui balance sa judéité comme une sorte de provocation, tandis que les adultes jouent à peu près la même comédie sociale, dans un restaurant où les réactions ne sont pas unanimement résistantes face à l’irruption de la milice, bien française elle aussi. Comme il l’avait déjà abordé, mais avec plus d’acidité dans le très puissant Lacombe Lucien, Malle rejette toute forme d’héroïsme, et fait de la discrétion (du Père Michel, par exemple) la vertu première. Le personnage de Joseph, relecture de Juda, prolonge ainsi l’analyse lucidité de la passion humaine à l’épreuve de l’occupation, où les opportunités nouvelles permettent de régler des comptes ou assurer une revanche qui n’aurait jamais été possible.
Les questions qui taraudent aussi l’esprit tourmenté de Julien l’ouvrent aussi, de manière tout aussi abrupte, à des thématiques essentielles comme celles de la mort ou de la fuite du temps, incursion passagère de Malle lui-même à l’écoute de son passé. La religion apporte des réponses contrastées : entre un rite figé (défilé social des classes endimanchées, incapacité du prêtre, dans une séquence très puissante, à donner la communion au juif en mal d’intégration) et un véritable discours débouchant sur des actes mettant en pratique l’idéal de charité chrétienne, c’est toujours à dimension humaine que se formule le sens.
Cette modestie explique l’épure austère du traitement, qui restitue dans la sécheresse abrupte tout le drame final, où un regard, une couverture tirée et une foule d’enfants silencieux dans le froid de l’hiver suffit à immerger dans l’horreur. Décapé de tout lyrisme, se refusant à revisiter cet impassible passé par les grands ressorts à sa disposition, Malle braque sur lui des yeux grand ouverts : la catharsis est d’autant plus intense que les larmes ne brouilleront pas son regard.