"Notre vieil idéal démodé se meurt"
J'ai parfaitement conscience des défauts du film, et des reproches que l'on pourrait lui faire.
Autant en emporte le vent présente une vision trop idéalisée du Sud ? Oui, certes, c'est ce qui en fait une adaptation fidèle du roman d'origine. ET puis, le Sud est un personnage à part entière du film, peut-être même partage-t-il la première place avec Scarlett. Après tout, Autant en emporte le vent, c'est le récit de la chute du Sud, de la mort d'une civilisation. En montrer la splendeur (sûrement exagérée) au début du film permet, par un cruel retournement, de mieux en ressentir le drame constitué par sa disparition. C'était le but recherché, et il est atteint.
Alors, c'est vrai, le tableau dressé dans les premières minutes du film est franchement idyllique, voire rêvé. Les paysages splendides, des gens guidés par le sens de l'honneur, des esclaves heureux d'être esclaves et de riches propriétaires dévoués et sympathiques : ça sent l'arnaque quelque part. Mais ce film n'est ni le premier ni le dernier à faire l'apologie du Sud, et si on le lui reproche, alors il faut aussi le reprocher aux autres cinéastes sudistes, John Ford, Raoul Walsh ou Clint Eastwood.
Scarlett et Rhett sont deux personnages insupportables ? Certes, mais là aussi, c'est voulu. Après tout, que raconte ce film ? Comment une jeune femme met 3h30 (qui correspondent à des années), traversant son lot de catastrophes personnelles et nationales, avant de comprendre ce que son père lui dit tout au début : "Il te viendra, cet amour de la terre. C'est inévitable, avec ton sang irlandais".
Autant en emporte le vent, c'est l'histoire d'une ado insupportable que les événements vont torturer jusqu'à ce qu'elle quitte définitivement sa crise d'adolescence et devienne une adulte responsable. Scarlett est forte, certes, mais elle est aussi odieuse (la façon qu'elle a de voler le fiancé de sa sœur est un grand exemple). Pendant un moment, vers le milieu du film, à son retour à tara, on pourrait la croire changée ; elle travaille de ses mains et semble avoir acquis l'amour de la terre. Mais non, il en faudra plus.
Et Rhett ? C'est bien simple, je l'adore. J'adore son cynisme. Ses répliques fusent et il sait faire mal quand il le faut. Mais il est peut-être le seul personnage doté de clairvoyance, ses dialogues sont superbement écrits et c'est un personnage complexe, qui ne quitte jamais son ambiguïté.
Mélanie et Ashley ont l'air de deux asperges ? Oui, et c'est fait pour, là aussi. Le film est centré sur le couple principal (qui ne sont ensemble que pour peu de temps, d'ailleurs). Le couple Wilkes sert un peu de faire-valoir, sa fadeur sert à mettre en évidence la flamboyance de Scarlett et Rhett. leur allure de couple modèle, aimant et fidèle, sert également de contraste aux frasques honteuses des deux personnages principaux.
Mais qu'on ne s'y trompe pas : Ashley et Melanie sont deux véritables personnages. Là aussi, il faut se fier à leurs dialogues, par exemple. Ashley a un comportement assez ambigu face à Scarlett, et Melanie, par son silence, semble accepter l'attirance de son mari.
Je ne cache pas que je suis très sensible au charme de ce film. Son traitement des couleurs, ses cadrages, ses jeux d'ombres et de lumières, et même ses personnages caricaturaux. Et sa musique ! Oh ! cette musique !
Les scènes culte s'enchaînent. Avec, bien entendu, en tête, celles qui se déroulent à Atlanta. Atlanta marquée par la mort : les soldats blessés étendus à même le sol, Scarlett perdue au milieu d'un océan de corps à la recherche d'un médecin dépassé par les événements, Melanie qui accouche dans une ambiance très picturale de clairs-obscurs, les défilés incessants de soldats ou d'esclaves dans les rues, l'ambiance de mort et de danger imminent, tout se mêle pour faire de cette séquence le sommet du film.
Le problème, c'est que quand le sommet est atteint au premier tiers du film, le reste a tendance à s'étirer un peu. Et je ne cache pas qu'en revoyant le film, certaines scènes m'ont paru peu nécessaires et ont une fâcheuse tendance à alourdir l'ensemble.
Mais il n'empêche qu'Autant en emporte le vent est, au-delà d'un chef d’œuvre, une référence du genre.
Et quelle musique !