C'est avec une peine difficilement mesurable que je regardais mon pauvre corps dans la glace embuée de la salle de bains. Depuis que j'avais remisé ma mitrailleuse à la caserne, je manquais cruellement d'exercice et mes mucles jadis artistiquement sculptés avaient littéralement fondu sur ma carcasse chétive. Je n'avais pour seul espoir de provoquer un léger intérêt auprès de mes semblables, que celui de m'offrir un nouveau corps, une apparence virtuelle qui, à force de citations de films et de titres de chansons, montrerait une facette plus attrayante de ma personne. Quelle chance fut la mienne de pouvoir infiltrer ainsi un monde tout à fait différent sous cette forme glamour et bleue.
Je décidai donc d'arpenter les profils, ainsi paré, exhibant fièrement mes nouveaux membres à qui le voulait bien, multipliant les amitiés, répondant aux tests les plus perspicaces jamais concus. Et pourtant. Pourtant je savais que tout cela n'était que du vent. Une fois qu'ils retireraient leurs lunettes 3D, ils me verraient de la même façon que mes yeux aperçoivent ma silhouette dans la glace couverte de buée, floue et inconsistante. Tout le relief que laissaient entrevoir mes oripeaux n'étaient que pure illusion. J'avais beau me vanter d'un passé fastueux fait de voyages dans le temps, de machines revanchardes, d'éxpéditions sous-marines (par deux fois, bien que l'une d'elle fût tout à fait involontaire), de voyages dans l'espace où nous fûmes confrontés à de coriaces xénomorphes, tout cela, plutôt que de relever l'exploit de mes nouvelles aventures, ne ferait que les teinter d'un amer goût de nostalgie. Comme on a pu me le répeter, la nostalgie c'est mal de toutes façons.
Ainsi donc, étalant mes prouesses technologiques, j'oubliai l'émotion passée, le frisson parcourant l'échine, comme celui que l'on ressent en fuyant un poids-lourd au guidon d'une moto dans les canaux assèchés de Los Angeles, le sourire en coin et le poing serré lorsque la pince se referme sur le cou de cette salope qui a osé s'en prendre à une petite fille sans défense.
Je me permets ici de faire une courte pause, le temps pour vous d'aller chercher quelques pop-corns et ainsi remplir mon contrat avec Jack Benoit.
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Nous voici revenus.
Vous comprendrez donc que, revenu devant ma glace après une telle débauche visuelle, je me sentais à nouveau assez déçu, non pas du résultat, mais du fait d'avoir su à l'avance que je ne marcherai pas dans cette histoire, de m'être bien douté que la révolution tant annoncée, n'était que l'exposition d'un travail minutieux certes et habilement exécuté, mais qui ne provoquerait chez moi qu'un ennui poli.
On ne peut pas être déçu lorsqu'on n'attend rien c'est déjà ça.
Et puis comme remarqué précédemment, la 3D ça fait mal aux yeux.