Et voici un film ô combien mal aimé !
Qu'il lui soit reproché d'être scénaristiquement vide ou d'enfoncer des portes ouvertes, les déconsidérations ne manquent pas. Pourtant, Cameron y transcende la ressource numérique en la convertissant en un pur objet de cinéma. Ne nous trompons pas, un scénario de cinéma n'est pas un scénario théâtral ou littéraire. La qualité d'écriture ne peut se mesurer uniquement aux dialogues, aux revirements ou à la complexité de surface, mais à la capacité des images intégrée dans un mouvement à produire du sens. Vis à vis de l'outil numérique cette faculté à produire du sens cinématographique est suffisamment rare pour être soulignée (Toy story me vient en tête également). Avatar est souvent jugé sous un prisme littéraire (au mieux, car cela reste un art différent, mais un art) ou sous un prisme politique (au pire, car une grande partie de la modernité rabaisse le cinéma à sa faculté à produire des slogans impactants), mais rarement, le film est abordé sous un prisme esthétique. Que peut bien nous montrer Avatar ? Voir Avatar comme une fable simpliste sur le colonialisme est, à moi sens, voir les choses sous le mauvais angle. À l'instar de Gravity, autre grand film dont la démarche esthétique trouve des similarités avec le film présent, Avatar nous donne à voir et surtout à vivre une renaissance. À ce titre, grâce à la technologie numérique et à la 3D, le cheminement du protagoniste s'applique au spectateur qui est convié directement à participer à ce qui se joue. Ainsi, le cinéma retrouve une dimension collective qui a été quelque peu oubliée au profit d'un intimisme individuel plus viscéral depuis les années 60.
Avatar est le cheminement d'un homme qui se trouve dès le départ au ban de la société. Cet homme qui a perdu une partie de ses facultés sensitives est un rebut de la société moderne. Ancien militaire, il ne peut garder sa place dans son corps d'origine. Les instances scientifiques et administratives n'y voient qu'un problème ou une opportunité à caser. La technologie de l'avatar offre à Jake Sully l'opportunité de renaître via un nouveau corps étranger. L'avatar baigne dans un premier temps dans un liquide qui évoque l'embryon baignant dans le liquide amniotique. L'objet du film est ni plus ni moins cette nouvelle naissance, cette réappropriation des sens perdus par l'outil cinématographique. Au delà de Jake, ce même cheminement est proposé au spectateur dans la mesure où la société moderne fait de nous des êtres léthargiques et de plus en plus dépendants du confort. L'homme dans le fauteuil roulant pourrait être aussi bien le spectateur. Le film invite à communier avec un état de nature ou de manière moins utopique avec une certaine primitivité de l'existence à reconquérir face à l'impasse que propose un monde aliéné. Ce cheminement est proche de celui de Gravity où une mère inconsolable devait faire l’expérience du vide, affronter les éléments pour regagner l'espoir et une renaissance sur terre. Dans Avatar, nous retrouvons ces mêmes quatre éléments au cours de l'apprentissage de Jake. À savoir, le feu lors d'un affrontement dans la jungle, l'eau au cours d'une plongée pour fuir un prédateur, la terre qui recouvre son visage au cours d'une chute et le vent à apprivoiser en même temps que les Ikrans. Jake (comme le spectateur) se retrouve à nouveau dans la peau d'un enfant et doit réapprendre les gestes les plus élémentaires.
L'enfant possède encore la capacité d'émerveillement, l'un des attributs oubliés du cinéma dont la source se déniche dès le cinéma de George Méliès. L'enfant ne maîtrise pas son environnement, mais il est parfaitement capable de s'étonner de tout contrairement au cynisme adulte. James Cameron ne craint pas d'exalter les sens par la couleur, un parti pris à rebours de la tendance naturaliste et terne actuelle qui renvoi incessamment à l'esprit adulte. C'est tout simplement un réenchantement du monde qui est proposé dans Avatar et cela implique d'oublier ce que l'on a assimilé jusqu'à "l'âge de raison". Le film de Cameron invite à la contemplation cosmique et à l'effort de préserver dans son être, concept de Spinoza que l'on trouve déjà vulgarisé avec brio dans la saga des Star Wars.
Le film met également en opposition la force naturelle via la souplesse et l'expérience pratique des corps indigènes face à la force plus artificielle et technologique des humains. À titre d'exemple, la force du colonel provient des poids en fonte qu'il soulève dans la souffrance tandis que la force de Jake exercée dans un habitat naturel se veut plus harmonieuse. De la même manière, les humains sont dépendant des prolongements technologiques (robots géants) de leur corps pour subsister en milieu hostile quand les indigènes n'ont besoin que de leur flair et de leurs expériences cognitives. De la même manière, le fonctionnement de l'Avatar ouvre une fenêtre sur un nouveau monde, mais constitue un rapport désincarné avec le réel. À l'instar des jeux vidéos, l'avatar ouvre une boîte de Pandore vers un univers qui focalise l'esprit au détriment du corps resté dans le réel. Ce dernier se trouve négligé d'autant plus qu'il est perçu comme obsolète par la société. Une vie vécue par le biais des réseaux de communication n'en étant pas vraiment une, Jake choisira définitivement sa nouvelle enveloppe corporelle lors de l'accomplissement final.
Les motifs cinématographiques présents dans Avatar sont légions et dépassent, me semble-t-il, les œuvres qu'il est accusé de plagier telles que Pocahantas ou Danse avec les loups.