Cela va faire presque huit mois qu'Avatar est sorti dans nos salles. Huit mois de succès, d'admiration, de déceptions, de débats passionnants sur l'avenir du cinéma, de luttes ridicules. Avatar a fédéré des millions de spectateurs et divisé la critique. Avatar a triomphé et démoli sa concurrence. Détesté ou vénéré, le nouveau film de James Cameron est l'objet de toutes les passions. Mais que reste-t-il vraiment de cette épopée de science-fiction lorsque l'on prend un peu de recul ?
Cela va sans dire, le scénario n'est certes pas le point fort de la fresque cameronienne. On aurait souhaité, c'est vrai, un traitement plus fouillé des personnages, une vision plus contemplative de Pandora... Mais on est tout compte fait très loin de la catastrophe scénaristique raillée par un grand nombre de détracteurs. Cameron a écrit une intrigue simple, on lui a reproché sa simplicité. Or, s'il avait écrit un scénario plus compliqué, les reproches auraient tout déferlé sur son film, sous prétexte d'un obstacle majeur à l'émotion. Objectivement, l'histoire d'Avatar est certes simple, mais pas stupide, ni insipide. C'est une réinvention efficace d'archétypes du cinéma d'aventure. Par définition, un archétype se doit d'être simple pour prétendre à la dimension universelle qui est la sienne, autrement il perdrait toute crédibilité. L'histoire d'Avatar réclamait des archétypes, afin de permettre une identification immédiate aux personnages et à leur destin. Le résultat, il faut bien le reconnaître, est redoutablement efficace, à défaut d'être virtuose, ou révolutionnaire.
On a pu, d'autre part, taxer Cameron de plagiaire, en l'accusant de s'inspirer de l'intrigue de Pocahontas et de Danse avec les loups. Une attaque confirmée cyniquement au mot près par le réalisateur. Accordons-lui au moins le bénéfice de l'honnêteté. Si Avatar n'hésite pas à intégrer des arcs narratifs déjà connus, il le fait dans le cadre d'un univers qui les renouvelle, qui les réactualise, qui leur donne une seconde jeunesse. Cameron adapte de vieux thèmes à de nouvelles techniques formelles, preuve de la perméabilité et d'un dialogue possible entre les différentes époques du cinéma. Au nom de quoi l'intertextualité devrait-elle rester l'apanage de la seule littérature ? Cameron a choisi de s'appuyer sur une intrigue familière, son univers n'en est que plus crédible et attachant. Tellement attachant que des millions de spectateurs s'y sont rués, tellement enchanteur que beaucoup ont eu envie d'y rester. Une nouvelle "Terre du Milieu" dans le paysage du cinéma mondial.
D'un point de vue technique et artistique, Avatar mérite une réelle reconnaissance. Parvenir à créer un environnement aussi crédible et envoutant, à partir de rien, relève de la performance. Pandora est un univers magnifique, transpirant d'un vibrant amour pour la vie, sous toutes ses formes. L'émotion "indigène", que souligne le cinéaste Jan Kounen, est constamment palpable, et la dimension écologiste que revêt le film se révèle bien plus efficace et touchante qu'un documentaire horriblement moralisateur et haineux dans le genre de Home.
Enfin, le souffle épique qui parcourt le dernier tiers du film prend littéralement aux tripes. De la destruction ahurissante de la cité Na'vi au rassemblement des peuples de Pandora porté par une saisissante montée en puissance symphonique, on reste pétrifié devant une mise en scène aussi spectaculaire que virtuose. Les images et la musique parlent d'elles-mêmes, confinant à la sensation la plus pure, à l'émotion la plus ravageuse.
Un bémol, cependant, s'appliquant à l'ensemble du film : contrairement à Star Wars, la fresque de Cameron n'a pas vraiment su créer une galerie d'icônes durables, dans la lignée des Han Solo et autres Luke Skywalker, ces légendes du cinéma de science-fiction qui nous font encore fantasmer comme au premier jour depuis leur naissance, il y a plus de trente ans. Comme si Cameron, à l'instar du démiurge de Blade Runner, n'avait confié à ses créatures hybrides qu'une durée de vie limitée, le temps d'une belle et seule aventure, les privant d'aller jusqu'au bout d'eux-mêmes. La faute à une troisième dimension pas encore assez vaste, pas encore démesurément humaine ? Peut-être. Splendeur et misères du virtuel...
Si Avatar est un film simple, c'est indéniablement un moment de cinéma à l'état pur, une plongée visuelle, sensorielle et émotionnelle dans un monde fantasmé. Un film de rêve(s) et un film rêvé. Une sorte de quintessence du cinéma hollywoodien classique. Une nostalgie du grand cinéma d'antan. Cameron semble porter les conventions du blockbuster américain à leur paroxysme, comme s'il voulait rejoindre ses modèles. Il rejoint haut la main le panthéon des réalisateurs de légende qui unissaient des foules gigantesques dans les salles obscures. Qui peut se targuer, à l'heure actuelle, de faire des films aussi fédérateurs, aussi universels que ceux de Cameron ? Mais surtout, qui osera le prendre pour modèle pour perpétuer la tradition spectaculaire des grands films ? Franchement, depuis Le Seigneur des Anneaux, on avait rarement vu quelque chose d'aussi puissant, beau et ambitieux.