Il s'installe en ce mois d’avril une ambiance fin de règne sur la planète pop qui a paradoxalement de quoi réjouir. J’aime voir les compteurs s’affoler et un certain nombre de générations bruisser d’un même élan face à l’ultime saison de GOT ou la fin d’une ère pour le MCU. Quel que soit le lieu qu’on fréquente, dans la rue ou sur les réseaux, dans les conversations de mes élèves à la pause ou celles de ma propre descendance, on retrouve des échos de ces événements aussi vains que fédérateurs. On peut n’en avoir rien à carrer, on peut passer à côté, la mélodie est tout de même dans l’air, et elle fredonne l’indispensable inutilité du divertissement.


Le dernier volet des Avengers ne fait pas que conclure un cycle – affirmation d’ailleurs assez douteuse, dans la mesure où l’on vous sert, avant même le dit film, la bande-annonce du suivant qui vous explique qu’un personnage mort (Peter Parker, donc) va donc ressusciter pour poursuivre sa lucrative franchise -, il a surtout la très lourde tâche de succéder à un bon blockbuster qui avait eu l’immense mérite de surprendre.


On ne se faisait guère d’illusions sur la capacité des scénaristes à retomber sur leurs pattes ; mais on savait aussi qu’on nous promettait du requiem, à savoir des éléments propres à renouveler cette triste machine narrative qu’est le récit de super héros.
L’ambiance se devait donc d’être au requiem, et la première et très longue heure d’exposition ne se prive pas d’en exploiter les recettes. On pleure, on fait le bilan, on encaisse, on donne l’illusion du caractère définitif des choses, avec cette jolie petite confrontation atypique à Thanos transformé en permaculteur, et fidèle à ses engagements génocido-durables.


Las. Le temps passe, les héros se décatissent, et l’action reprend du poil de la bête à la faveur d’un ressort qui ne pouvait en être autrement, le « casse temporel », inventé en 8 secondes à côté de maman qui lit un manuel sur le compost, donc, et qu’on a l’outrecuidance de nous présenter comme lucide (en gros, Back to the future, c’est du flan, eux vous nous faire ça aux petits oignons. D’accord, merci, on attendait une telle clarté. Qui ne viendra pas.)


Certes, les voyages respectifs permettent quelques incursions sur différentes temporalités qui ventilent avec plus ou moins de fluidité les myriades de personnages, d’époques et de familles. C’est là que se révèlent le véritable motif d’Endgame, qui porte bien son nom : la nostalgie par la compilation. On cherche à émouvoir plus qu’à divertir, et il s’agit de rendre poignantes les disparitions annoncées. Reste aussi à savoir de qui il s’agira, même si le résultat ne surprendra guère. Et pour la compilation, on brassera bien large dans les références à la pop culture, à la manière de Ready Player One, du Big Lebowski à Fortnite, quitte à faire grincer bien des dents.


Mais sur le fond, que nous reste-t-il ? Une série de jokers grossiers, qui souillent à peu près tout ce qui donnait de l’ampleur à Infinity War. Un méchant qui revient pour faire un bis à la manque de sa première quête, en double (aujourd’hui, j’annihile la planète entière, rien à battre de mes convictions antérieures), un décès qui reprend celui du précédent devant la pierre de l’âme, mais arrive à moins nous attrister que lorsqu’il s’agissait du méchant (un comble), et une série de vannes plus ou moins vaseuses, mais surtout assez fatiguées.


Ce n’est pas en atteignant les 3 heures (n’est pas Peter Jackson qui veut) qu’on se garantit l’accès à la grandeur épique ; on se surprend d’ailleurs à constater que le film reste finalement presque avare de grandiloquence. Tout semble plus sombre, plus éculé, sur les rails du retour des disparus qui, comme prévu, reviennent en rang pour la photo de famille agrémentée de quelques tatanes cosmiques. Mais la vigueur visuelle qu’on avait pu trouver (la bataille de New York dans le premier Avengers, l’aéroport dans Civil War, le Wakanda dans le volet précédent) cède le pas à du WTF peu convaincant, d’un Captain America qui se découvre des talents à manier le marteau de son pote à des Pégases volants d’un goût assez douteux.


Aller voir un tel blockbuster, c’est jouer le jeu du divertissement à l’état pur. Le contrat n’est pas vraiment rempli. Quand on y pense, l’enjeu lui-même était éventé : il s’agissait de revenir à l’état antérieur à Infinity War, à savoir annuler un bon film, doté d’une étonnante et émouvante fin.
Mais, quand on approfondit, la fiction est elle aussi un véhicule spatio-temporel idéal : à nous de décider de revenir à ce beau dénouement et de nous y arrêter.

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le 28 avr. 2019

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Sergent_Pepper

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