Critique par @lefilmdujour
C’est l’histoire de trois types dans une caisse qui se surprennent à rêver de partir dans l’espace. Une destination à mille lieux de la banlieue Marseillaise et de ses tensions. À travers ce trio de grandes gueules, aussi pathétique que attachant (l’un se lisse les cheveux, l’autre est un récent papa…) Cédric Jimenez nous plonge dans le quotidien d’une équipe de la BAC, multipliant les interventions en tout genre pour démanteler l’un des plus grands réseaux de drogue de la cité phocéenne. Le dualisme manichéen de ses confrontations laissent place à des scènes d’affrontements trop régulières. D’un côté se trouve l’ordre, de l’autre le chaos. Et l’ordre n’est pas forcément toujours du côté que l’on pense.
Filmer la banlieue est un exercice délicat, tant les amalgames créés par les médias ont donné un aspect hostile à cette dernière. À l'échelle d’un pays, une grande partie de la population n’y a jamais mis les pieds, et ce lieu est source de multiples fantasmes. Les trois de Kassovitz étaient enfermés dehors (La Haine 1995), les trois de BAC Nord sont pris au piège dedans. La mise en scène de Jimenez fait du bien, car elle ne désigne pas de coupable. La violence est dans les deux camps, l’un neutralisant généralement l’autre par la provocation verbale. Cette temporisation quasi-militaire rappelle certains passages du puissant Un pays qui se tient sage de David Dufresne.
Impuissant, le spectateur assiste à une partie du jeu du chat et de la souris à échelle humaine. Les deux animaux ne veulent pas abdiquer, question de survie. À l’image de sa scène d’intro, Bac Nord est d’une intensité remarquable, bien aidé par un montage épileptique qui sert son propos à la perfection. La cadence imposée est minutieusement calculée pour instaurer une atmosphère anxiogène, et quand l’humour ou la tendresse se manifestent à l’écran, cela ne dure jamais bien longtemps. Ce n’est que lorsque les lumières se rallument que le public peut reprendre son souffle, assommé par l’intensité de ce qu’il vient de regarder.
Cédric Jimenez conte cette histoire à l’aide d’interprètes de grands talents. Karim Leklou, Adèle Exarchopoulos, Gilles Lellouche et Kenza Fortas livrent une prestation intéressante, bien qu' enfermés dans la peau de personnages trop prévisibles. En effet, les crises de colère surfaites ou la mélancolie forcée rendent certains passages un brin grotesque. Heureusement, l'écriture de dialogues simples réussit à rétablir un équilibre, et l’extravagance de certains passages n’affectent pas la qualité générale du film. François Civil, lui, continue de marquer les esprits dans un rôle qu’on aurait difficilement pu lui prêter au regard de sa filmographie. D’une grande justesse, le parisien confirme une nouvelle fois qu’il est un intéressant caméléon, capable de sublimer n’importe quel personnage. Comme à l’accoutumé, son sens de la dérision est ultra-efficace, et quand ce dernier se mêle aux remarques triviales de ses collègues, cela laisse place à un florilège de répliques mémorables.
Unique en son genre, Bac Nord se sert de son caractère fictif pour dépeindre la traumatisante réalité du quotidien de ces hommes et de ces femmes qui interviennent chaque jour sur le terrain. À l’image de son traitement sonore percutant, le long métrage aborde le brouhaha constant qui accompagne ces vies démesurées, qui ne laissent presque jamais place au répit. Une flopée d’injustices s’abat sur ces hommes en bleu, ankylosés par la peur, peur qu’ils dissimulent derrière un caractère monstrueux qui les rendrait presque indolents. Si la violence physique est sur le terrain, la pression psychologique de ce métier est institutionnelle. Jimenez dépeint alors la lâcheté d’une organisation au cœur pusillanime, prêt à envoyer ses hommes sur le front comme de la chair à canon. Le manque de reconnaissance au sein et en dehors de l’établissement semble être la vraie difficulté de ce métier. Le traitement médiatique qui lui est réservé ferait presque oublier l’âme humaine qui se cache sous l’uniforme, diabolisé à tort et à travers.
Quant à la représentation de la vie de quartier, Jimenez s'intéresse à une hiérarchie bien rodée, laquelle laisse place à une organisation impressionnante quant à sa capacité de se défendre. Si le réalisateur nous sert des images d’une rare violence que l’on attend presque naïvement, le traitement qu’il opère ne désigne par l’inconnu comme coupable, et ça fait du bien. Puisque la proximité de leurs sujets entraîne presque logiquement la comparaison, j’ai trouvé cette œuvre bien plus nuancée que Les Misérables de Ladj Ly, qui, en ne se concentrant presque que sur l’animosité, oubliait parfois de prendre du recul quant à son origine, ce que l’oeuvre de Cédric Jimenez réussit à la perfection.
L’enfer carcéral est lui aussi représenté de manière inédite, avec des scènes qui montrent aussi bien les actions des gardiens et magistrats que celle des prisonniers, remettant toujours l’homme au centre de l’histoire.
Bac Nord est un film avec du caractère, et si ses défauts sont apparents, l’expérience qu’il prodigue est unique. Une salle entière qui retient son souffle devant l’un des meilleurs films Français de l’année 2021. Si ce n’est le meilleur.
(7,5/10)