Une réponse stupide, manichéenne et raciste au "Misérables" de Ladj Ly

Au départ, je comptais ne rien écrire sur ce film. Le regarder m'a été difficile. Mais après quelques jours, je ne décolère pas, et j'ai besoin d'extérioriser.


Bac Nord est une réponse assez pitoyable au film de Ladj Ly - dont il reprend des scènes et schémas à l'identique - qui traitait TOUS les sujets du film de Jimenez avec beaucoup + d'intelligence, de finesse, et de subtilité. Tout simplement parce qu'à la différence de Jimenez qui appose toujours un regard condescendant et raciste sur les banlieues de Marseille - et, ne nous mentons pas, celles de France en général - Ladj Ly, lui, a vécu en banlieue, sait ce que c'est que de vivre en banlieue, et sait combien la situation y est désespérée et désespérante. Pas seulement pour la police, là aussi complètement lâchée par sa hiérarchie, mais aussi pour les habitants de la banlieue.


Bac Nord est aussi une réponse hypocrite au film de Ladj Ly. Quand Les Misérables décidait de traiter le sujet des banlieues par le prisme de la fiction pour mieux représenter la réalité (Montfermeil se transforme le temps d'un film en allégorie d'un pays malade au bord de l'implosion), Bac Nord, lui, prend la décision de traiter d'un véritable fait divers, en nous faisant croire qu'il s'en inspire simplement pour mieux s'en éloigner afin de créer une véritable fiction. Le souci ? C'est que le film ne nous fera croire ça que le temps d'un encart de quelques secondes au début du film, probablement suggéré par des avocats, car, pendant près de 2h, Jimenez donne son propre point de vue sur l'affaire - il va même jusque montrer sa version des faits sans la moindre nuance ou le moindre souci de la réalité - et utilise des images d'archive pour mieux ancrer son film dans la réalité d'une part, mais dans l'affaire d'autre part.


Cette hypocrisie se fera ressentir tout le long du film. Les trois flics, au comportement très souvent détestable, trouvent une justification aux yeux du spectateur dans chacun de leurs actes limites. "Ils ont été lâchés par leur hiérarchie", pense-t-il alors. "Ils n'avaient pas le choix". Et le spectateur, crédule, ne pensera jamais qu'ils auraient pu et dû agir autrement. Car le film refuse que le spectateur pense cela. Pas la moindre ambiguïté dans le discours, non, Bac Nord ne s'embarrassera jamais de cela : ces flics ont eu raison d'agir ainsi, et ils le répèteront encore, et encore, et encore, pendant près de 2 heures. Et vous savez quoi ? Vous y croirez aussi. Vous sentirez leur désarroi et leur injustice. Parce que c'est ce que le film veut.


Mais par-dessus tout, Bac Nord est une réponse raciste au film de Ladj Ly. L'exemple le plus parlant est sur le traitement de l'enfance dans les deux films. Les Misérables montrait des enfants incrédules, innocents, et victimes de leur environnement. Comme leurs mères (les pères étaient absents du film, à dessein), ils sont au milieu de tout ça et ils le subissent. Eux, qui ne veulent que célébrer la victoire des Bleus au Mondial, se retrouvent trimballés ici et là, d'abord par des flics, puis par des gangsters, jusqu'à ce que la véritable et inévitable révolution vienne de leurs mains. Ils ne verront alors plus rien, ni les couleurs, ni les insignes, ni les religions : ils détruiront tout sur leur passage, parce qu'on les y a poussés.



« Il n'y a ni mauvaises herbes ni mauvais hommes. Il n'y a que de mauvais cultivateurs. »



Quand voit-on un enfant dans Bac Nord ? Dans une seule scène. Une scène qui semble arriver comme un cheveu sur la soupe. Cette scène n'a ni cause dans la scène précédente, ni conséquence dans la scène suivante. Elle ressemble à un insert de 3 minutes. Une scène qui n'a aucun liant avec le reste du film et qui semble s'être perdue sur la table de montage. Et que fait cette caricature, pardon, cet enfant dans cette scène ? Il dit plus d'insultes en 3 minutes que Sam Jackson dans l'entièreté de sa filmographie : "gros fils de pute, bâtard, nique tes morts, je te baise, je baise ta soeur et ta mère, t'es un enculé, va te faire enculer, baise tes morts la con de ta grand-mère".


Et pourquoi dit-il tout ça ? Parce que tous les animaux, pardon, les banlieusards du film hurlent ça. Pendant 2h. Ils ne savent pas parler autrement. Ils ne savent qu'hurler des insultes. C'est alors qu'on se rend compte que Jimenez décide de montrer la ville la plus cosmopolite de France comme étant un quatrième pays du Maghreb avec quelques habitants d'Afrique Noire par-ci par-là.


Bac Nord ne cherche pas à montrer le triste destin de trois flics lâchés par leur hiérarchie dans une jungle : il souhaite montrer le destin de la police française face à ce qu'il pense être La Racaille.


Si le film oublie le sens du mot "subtilité" dans son écriture, ce n'est pas pour mieux s'en souvenir dans sa mise en scène tape-à-l'oeil bourrée de plans (complètement inutiles) de l'architecture de Marseille pour bien montrer que c'est filmé in-situ, avec des accents parfois présents, parfois pas - la perf' de François Civil est à hurler de rire - et des violons littéralement lâchés sur l'incarcération des trois policiers. Je ne déconne pas, le compositeur a foutu des violons sur les scènes de leur incarcération. Lourdeur, quand tu nous tiens.


J'ai lu la critique d'un partisan de MLP (NB : il m'a corrigé en privé pour me dire que c'était un partisan du Z, pas de MLP), et il disait qu'il en était sorti avec une sérieuse envie d'envahir la Pologne. Difficile de lui en vouloir. Il n'a jamais vécu en banlieue, il n'y a jamais mis les pieds. Il ne sait pas ce que c'est. A ses yeux, ce film montre la réalité de la banlieue ; une réalité très BFMTV, pourtant.


Il a pensé que c'était la réalité, parce que, loin d'être complètement ignare - il ne l'est que dans son écriture - Jimenez sait qu'en filmant en décors naturels et in-situ, en lumière naturelle, et avec une caméra au poing, on prendra son film pour un documentaire.


Personnellement, maghrébin d'origine, je me suis senti terriblement insulté. Au départ, je ne voulais même pas écrire quoi que ce soit dessus, tant j'étais triste, vraiment triste, qu'un film aussi profondément raciste puisse avoir connu un tel succès public à quelques mois des élections. Mais au final, je décolère si peu que j'ai ressenti le besoin d'extérioriser ici.


A bien des égards, Bac Nord est le pire film que j'aie pu voir cette année. C'est un film nauséabond et pathétique qu'il faut éviter de toute urgence.

WallydBecharef
1
Écrit par

Créée

le 21 nov. 2021

Critique lue 554 fois

3 j'aime

4 commentaires

Wallyd Becharef

Écrit par

Critique lue 554 fois

3
4

D'autres avis sur BAC Nord

BAC Nord
LeTestard
5

Nerveux, mais trop peu ambiguë

5/10, car pour faire vite, on est pris dedans, c'est nerveux, on sait mettre de la tension, c'est parfois drôle, mais pas plus parce que le fond semble tout de même n'aller que dans un sens.Je ne...

le 18 août 2021

168 j'aime

16

BAC Nord
B_Jérémy
9

Après ce film, vous voterez Le Pen qu'il disait : " démago pour les nuls "

Ça fait 20 ans que je fais ce métier moi, tu crois que tu sais tout, mais tu sais rien. Tu ne sais pas ce qu'on a vécu là-bas ! Tu ne sais rien des quartiers Nord ! On a failli crever là-bas...

le 6 sept. 2021

112 j'aime

372

BAC Nord
lhomme-grenouille
1

Ici Radio-Bolloré…

Il existe deux façons d’appréhender BAC Nord. Deux. D’un côté on peut l’aborder comme le film censé occuper la soirée. Ce genre de film qu’on regarde sans « prise de tête » et avec pour seule...

le 19 août 2021

103 j'aime

196

Du même critique

Godzilla vs. Kong
WallydBecharef
4

Mais, vous allez finir par les laisser se battre, bordel de merde ?

Depuis 2015, nous sommes comme Ken Watanabe dans le premier Godzilla, on veut voir deux des plus grands monstres de l'histoire du cinéma se foutre sur la gueule. Après Godzilla en 2014, on a eu...

le 1 avr. 2021

30 j'aime

7

Killer Joe
WallydBecharef
8

McConaughey au sommet

Fini le cinéma hollywoodien édulcoré, avec une morale et tutti cuanti. Fini le cinéma indépendant qui choque pour choquer, sans réel sens derrière, ni même beauté. Friedkin est de retour, 6 ans après...

le 6 sept. 2012

22 j'aime

3

The Disaster Artist
WallydBecharef
5

Critique de The Disaster Artist par Wallyd Becharef

Le film tient tout son problème dans son propre sujet : c'est un film sur un foutu meme. Vraiment, je n'ai jamais vu film plus meta. Et c'est un fan de[i] 22 Jump St[/i] et the [i]This is the end[/i]...

le 28 févr. 2018

14 j'aime

1