Bad Lieutenant - Escale à la Nouvelle-Orléans par TheScreenAddict
La Nouvelle-Orléans, juste après le passage de l'ouragan Katrina. Une ville en deuil, aux paysages ravagés, gorgée d'eau jusqu'à la nausée. Un ciel perpétuellement gris, menaçant, où plane le spectre angoissant du cataclysme. C'est dans cet « univers morne à l'horizon plombé » que se déroule le Bad Lieutenant de Werner Herzog. Un lieu de perdition, comme le New York du film de Ferrara, sorti dix-huit ans plus tôt. Le même anti-héros, ou presque : un flic aux méthodes louches, drogué jusqu'à la moelle, à la poursuite d'une impossible rédemption. Presque, car le lieutenant campé par Nicolas Cage (impressionnant) n'a rien à voir avec l'allumé christique que jouait Harvey Keitel.
Le film de Herzog n'a en effet rien d'un remake. S'il garde la figure du policier pourri et camé, il adopte une intrigue inédite. Nouvelle histoire, nouvelle atmosphère. Ferrara nous plongeait dans les méandres d'un esprit malade en empruntant la voie du mystique, au gré d'une mise en scène comateuse et sulfureuse. Herzog conserve au fond une même noirceur, mais elle n'est pas suffocante, car jamais sacralisée. Flanquée d'un second degré permanent. Les scènes de délire sous substance, portées par le jeu outrancier de Nicolas Cage, forcent le rire. Comme cette longue filature, dans un immeuble abandonné, où le lieutenant contemple un couple d'iguanes, qu'il est le seul à remarquer. Clin d'œil savoureux, les tics du personnage rappellent évidemment ceux de l'escroc atteint de T.O.C. dans Les Associés (Ridley Scott).
Le lieutenant d'Herzog nous fait rire, mais il sait se montrer terrifiant. La drogue le rend imprévisible. Quand il brandit son revolver en ricanant, la catastrophe n'est jamais loin. Quand il menace, on ne sait jamais s'il blague ou s'il est sérieux. Un policier incontrôlable, mais pourtant pas insaisissable. Rarement un monstre n'a semblé aussi attachant que le lieutenant campé par Cage. Monstrueux, quand il prive une vieille de son tube d'oxygène pour arracher des aveux à son infirmière, flirtant le temps d'une scène aussi éprouvante que jubilatoire avec les méthodes d'un certain Jack Bauer, le sérieux marmoréen en moins. Attachant, quand il est confronté, comme tout un chacun, à ses problèmes familiaux : père assisté, belle-mère alcoolique, petite amie tourmentée par une horde de malfrats. Miracle du scénario à la fluidité exemplaire et stimulante : la trame policière du film et la vie privée du protagoniste s'entremêlent idéalement, donnant une vraie respiration à l'ensemble.
Une agréable surprise quand on sait que Herzog peut parfois verser dans la lenteur la plus exaspérante (Nosferatu, Aguirre...). On retiendra aussi l'importance de la musique de Mark Isham, mélopée au rythme hypnotique, aux accents inquiétants, épousant magnifiquement les zones d'ombres de l'intrigue.
Se démarquant totalement du Bad Lieutenant de Ferrara, ce portrait d'un policier torturé et délirant pourrait bien être le premier bon thriller de l'année 2010, évitant la maladresse du Ghost Writer de Polanski et la prévisibilité de Shutter Island de Scorsese. Disons même que c'est un excellent film, original et excitant.
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