Mon mercredi après-midi passé au cinéma, phénomène permis par la grande lassitude et l'inactivité qui caractérisent ma vie étudiante, m'a inspiré quelques idées, qu'il me paraît indispensable de partager. Rédiger la critique de Batman vs Superman, dernier film de Zack Snyder, nonobstant ma flagrante inculture cinématographique, s'érige en moi comme un devoir. Je ne me baserai ici que sur ma maigre culture de l'univers DC, érigée depuis mon plus jeune âge sur les seuls films et animés relatifs à Batman. Je n'ai pas ici la volonté de sauver un esprit quelconque contenu dans les comics, n'ayant pas lu ces derniers. Ma volonté est de sauver une chose ô combien plus importante à mes yeux, un symbole qui a accompagné chacune des étapes de ma vie – c'est pourquoi cette critique consiste en un besoin existentiel – une égérie de mes rêves, le héros et le hérault de mes songes les plus enfouis : Batman.
Zack Snyder représente depuis quelques temps une fascination pour moi. Son film Watchmen doit être mon œuvre cinématographique favorite (mon inculture sus-relevée me fait tomber dans le culte du blockbuster, passons), alliant à l'idée de héros et de destinée héroïque une dimension psychologique d'une noirceur à faire pâlir tout poète maudit adolescent qui se respecte. C'est cette noirceur, cet aspect psychologique profond – bien que carricatural, mais le principe de l'idéal héroïque ne puise-t-il pas son essence dans la carricature et le cliché ? – que je souhaitais retrouver dans un film confrontant Batman et Superman. Dans mon esprit d'esthète en herbe, sont mises en jeu deux idéologies formidablement liées dans leur opposition, en une parfaite bande de mœbius. Ce sont en fait deux tendances : la première, celle du chevalier noir de Gotham, est celle d'un homme souhaitant se dépasser en tant qu'homme. Batman, dans son désir ultime de justice souveraine, devient l'allégorie de ses principes : aveuglé par la vengeance, il se voue entièrement à une quête que ses limites humaines l'empêchent d'assouvrir. C'est là un personnage dont la volonté dépasse les pouvoirs. C'est cet idéal inaccessible qui le ronge, le transformant en un symbole, lui faisant perdre ses derniers ersatz d'humanité. La deuxième tendance est celle du Dieu de Métropolis. Nous avons là affaire à un être disposant de tous les pouvoirs, un être suprême. Superman, par cette faculté physique, s'oppose à la contingence qui fait de l'humain un humain. La limite de ce héros est celle d'entrer dans le jeu d'un monde qui n'est pas le sien. Il dispose du pouvoir de tout faire : que doit-il faire ? Comment justifier l'utilisation de ses capacités au sein d'un monde auquel il n'appartient pas ? Les pouvoirs de Superman dépassent sa volonté.
Opposer ces deux extrêmes est un formidable pari. Comment cela se concrétise-t-il ? J'avertis de suite les amoureux de la bonne chute, les fous du scénario et de l'intrigue : cette critique, si vous êtes de ceux qui vont encore au cinéma pour le suspens insoutenable des histoires qui y sont présentées, présente le risque de vous spoiler. Cet avertissement fait, je peux entrer dans le vif du sujet.
Graphiquement, comme cela était attendu avec l'habitude du style de Zack Snyder, rien n'est à redire. Tout est grandiose, la 3D est admirablement gérée, chaque plan présente la profondeur nécessaire à se plonger dans l'action, et à faire de ce voyage une expérience sensorielle extraordinaire. À cette ambiance, s'ajoute un magnifique choix de bande originale, c'est un travail remarquable pour les yeux et les oreilles. Je souligne particulièrement la texture de Wonderwoman, qui, en plus de consister en une remarquable prouesse technique, nous fait vraiment venir ce personnage d'un autre monde, d'une autre réalité. C'est un effet magnifique que celui du cinéma qui parvient à se définir par ses propres outils. Je ne reviens pas non plus négativement sur l'effroi qu'a pu provoquer le choix de Ben Affleck dans le rôle de Bruce Wayne : l'acteur est extrêmement convaincant. Le seul reproche à faire à cet acteur est celui de sa notoriété, Batman est magnifique, mais il est impossible de ne pas se dire tout au long du film : « C'est Ben Affleck... C'est Ben Affleck... »
Le deuxième excellent point du film est qu'il remplit ce pour quoi je suis venu le voir : il présente une magnifique confrontation entre Batman et Superman. Cela est d'ailleurs très bien résumé par les nombreuses sentences de Lex Luthor – qui doit, quant à lui, être le meilleur point du film – : il s'agit d'opposer l'Homme à Dieu. Nous avons bien là un questionnement sur les conséquences d'utiliser un pouvoir qui nous dépasse – les pouvoirs de Superman le dépassent largement – ainsi qu'un questionnement sur le moyen d'arriver à ses fins lorsque l'on n'en a pas le pouvoir. Un élément a tout de même déçu le fan de Batman que je suis, en nous présentant un héros manipulable à souhait par Lex Luthor. C'est que Lex Luthor a trouvé ce qui animait réellement notre héros : la vengeance. Batman, en se laissant bander les yeux par son envie de justice, en devient la parfaite allégorie. On ne pouvait pas mieux faire ressortir l'essence de ce personnage qu'en exposant à vif sa plus grande faiblesse. J'accepte d'effacer la douleur que provoque à mon cœur l'exposition d'une faiblesse de Batman, car cette faiblesse permet de constituer ce qui fait son être, ce qui le justifie en tant que symbole, et que héros. Le Batman de Snyder est une réussite.
Qu'en est-il de Superman ? L'espoir que j'avais était que cette deuxième présentation du personnage nous éclaircisse sur le pourquoi de l'apparent échec total du premier film. Cette suite n'a fait que l'enfoncer. N'aurait-il pas fallu, pour renforcer le caractère divin de Superman, nous le présenter de façon assumée comme un héros américain infaillible ? Le fait de le confronter à ses semblables dès son abord en tant que superhéros lui fait perdre tout ce qu'il peut avoir d'exceptionnel, tout ce qui le caractérise en tant que parfait opposé à Batman. Puisque l'intérêt actuel de notre film est bien de faire se confronter Superman et Batman.
J'en viens au problème principal : pourquoi mettre en jeu Doomsday et Wonderwoman ? Le combat final fait intervenir un extraterrestre mutant, une amazone sexy, intemporelle, et invulnérable, un Superman au summum de son héroïsme, et une explosion nucléaire dans l'espace. Si j'avais su que trois quarts d'heures du films seraient consacrés à cette surenchère de flashs, de boums, et de swag, j'aurais téléchargé illégalement Avengers, que j'aurais visionné dans mon canapé, entre un épisode de The Flash et de Scrubs, ce qui m'aurait évité les désagréments causés par les froissements de paquets de m&ms, manipulés dans un outrageux vacarme par des énergumènes qui ont semble-t-il oublié que le cinéma, contrairement au zoo, s'apprécie en présence d'autres êtres humains. Passons. Le principal désagrément que cause ce combat final est qu'il finit, de par la magnificence de ses effets spéciaux, la lumière et le bruit qu'il provoque, par totalement éluder le combat pour lequel je suis venu : Batman contre Superman. Ce combat final, c'est grossièrement les gentils tous beaux et hauts en couleurs, contre le méchant pas beau – monstrueux – et... méchant. C'est le seul épithète qui, finalement, semble lui correspondre. On est ici un peu loin de la profondeur psychologique du Watchmen qui m'avait tant fasciné.Un bon point dans tout cela ? Superman meurt.
Sauf que... Sauf que non. Fallait-il vraiment terminer le film sur vingt minutes d'enterrement de Clark Kent ? Ce n'est pas le pire, n'avez-vous pas eu la même pensée que moi pendant ces vingt minutes ? À savoir : « Pourvu que le film ne finisse pas sur le plan du cercueil de Superman qui laisse entendre qu'il va ressuciter. Pourvu que le film ne finisse pas sur le plan du cercueil de Superman qui laisse entendre qu'il va ressuciter. Pourvu que le film ne finisse pas sur le plan du cercueil de Superman qui laisse entendre qu'il va ressuciter... » Bingo. Il faut là que nous parlions de fin, de suspens, peut-être même d'appel à séquelles. Dans Le Seigneur des Anneaux, Gandalf meurt. Il est mort. Cela ne fait aucun doute : nous devons suivre nos protagonistes dans leur situation désespérée, privés de leur meilleur atout alors que la menace se fait plus lourde que jamais. Résultat, quand Gandalf revient, nous sommes surpris, et agréablement, c'est un bel effet d'intrigue. Faire comprendre qu'un personnage va revenir à la vie instantanément après sa mort, alors que toute menace est effacée, c'est nier toute l'importance de sa mort. C'est même embellir un tableau final beaucoup trop conclusif. Dans Watchmen, la dernière action provoque un véritable bouleversement : tout le coup monté, et tout ce qu'il a coûté en contradictions irrésolvables et en vies humaines, va peut-être être remis en question par la découverte du journal de Rorshach. Ici, tout va bien, Lex Luthor est derrière les barreaux, et en plus, Superman n'est même pas mort. Un poney et un arc-en-ciel manquaient au tableau, ce n'est pas vraiment ce que j'appelle une tension, dans le sens ne serait-ce que d'une toute petite gène de fin de film qui laisse en nous cet addictif sentiment que quelque chose n'est pas fini, que nous sommes face à des événements qui nous dépassent.
Tout va si bien, finalement, que cette atroce fin longue et plate, qui finit par nous donner envie de remplacer Clark dans son cercueil, provoque la pire horreur de l'histoire du cinéma. Eh oui ! Tout va si bien que Batman ne trouve même pas de justification à la volonté que les méta-humains pourraient avoir de se joindre à lui. Batman ne parvient pas à se justifier. Cela ne choque personne ? Personne ne trouve cela antinomique avec le caractère-même du personnage, qui justifiait l'intrigue-même du film Batman vs Superman ? La dernière réplique du personnage le plus badass de l'histoire des personnages est la suivante :
« Pourquoi penses-tu que que les méta-humains voudraient nous rejoindre ?
D'instinct. Il y a encore du bon dans les humains. »
Ceci, Mesdames et Messieurs, ceci est la réponse de Sam Gamegie à Frodon, lorsque ce dernier perd espoir. Le chevalier noir de Gotham, l'allégorie de la justice, l'ennemi ultime du Joker, la chauve-souris, la nuit face au jour, l'espoir sombre jaillissant des ténèbres, a les mêmes répliques qu'un jardinier hobbit joufflu. Et cela, Mesdames et Messieurs, cela est criminel.
Mon propos n'est pas de descendre ce film. J'ai passé un excellent moment, riche en couleurs et en émotions, et la confrontation de Batman et de Superman, ce pourquoi je suis venu, a été formidable. À mon humble avis, mais qui n'est que l'avis d'un humble amateur, il aurait fallu s'en tenir là. Alors, la forme aurait été parfaite. Au moins n'aurons-nous vu Aquaman qu'un très court instant. L'honneur est sauf, mais pour combien de temps ?