Batman v Superman : L'Aube de la Justice, c'est le premier étage d'une fusée, qui doit mettre en orbite la Justice League, réponse de DC Comics à Marvel et son MCU. Afin de garantir la réussite de cette entreprise, on met dans les pattes de l'homme d'acier un chevalier noir usé et au bord de la crise de nerfs. Alors choc de titans ou bataille de coqs déplumés?
Après un rappel du traumatisme à l'origine de la métamorphose de Bruce Wayne en Batman, le film s'ouvre sur le combat sur le combat final de Man of Steel apprécié cette fois-ci sous une perspective différente: celle des victimes. On y découvre les dégâts collatéraux et leurs conséquences sous les yeux d'un Bruce Wayne chez qui l'on sent les prémices d'une animosité naissante à l'endroit de l'enfant de Krypton. Spectaculaire et retranscrivant de manière viscérale le drame humain, cette scène s’inscrit d’emblée comme l’une des plus réussies et rappelle La Guerre des Mondes de Spielberg dans sa façon de représenter une invasion extraterrestre sous un angle plus intimiste.
Par la suite, on découvre un Bruce Wayne qui ne fait plus dans la demi-mesure dès lors qu'il revêt cape et masque. Meurtri par 20 ans d'une lutte acharnée contre la criminalité gangrenant Gotham et par le lourd tribut payé durant sa croisade, ce dernier n'hésite plus à avoir recours à des méthodes expéditives, transgressant du même coup les règles qu'il s'était lui-même imposées. Sa première apparition en est d’ailleurs symptomatique: tapi dans l’ombre, se déplaçant comme un vampire, il marque ses adversaires aussi bien physiquement que psychologiquement: Snyder a représenté la peur inspirée par ce dernier comme personne ne l'avait jamais fait.
Hanté par son affrontement avec Zod et ses conséquences, Superman quant à lui, s’interroge encore sur place au sein de notre monde, et pour cause, entre admiration et crainte, l'opinion est partagée: ami ou ennemi? Sauveur ou menace? Figure messianique ou vilain extraterrestre en collants? Depuis la bataille de Metropolis Bruce Wayne n'a lui plus de doute: quelles que soient ses intentions, on ne peut accorder le bénéfice du doute à un être quasi-divin capable d'anéantir l'humanité tout entière. Entre un Batman davantage « Punisher » et un Superman, défenseur de la veuve et l’orphelin, on sent poindre le clivage idéologique que ne manquera pas d’alimenter un Lex Luthor toujours prompt à mettre de l’huile sur le feu.
Les deux héros sont bien incarnés avec une mention spéciale pour Ben Affleck dont le Batman bénéficie d’une évolution psychologique intéressante avec un alignement entre Bien et Mal parfois très flou, alors que le Superman d’Henry Cavill reste par essence assez unidimensionnel. Les scènes d’action peu nombreuses, eu égard à l’antagonisme évoqué dans le titre du film, sont réussies. L’affrontement entre les 2 piliers de la Justice League, bien qu’assez court, tient ses promesses: du reste, vu l’écart entre les forces en présence, il eut été difficile de le faire s’éterniser. Enfin, l’apocalyptique dernière demi-heure du film qui nous permet, entre autre, de découvrir les aptitudes au combat d’une Wonder Woman teigneuse et « badass » au possible. Seul bémol: j’ai peur que le temps fasse son oeuvre et que les scènes réalisées à grand renfort d’éclairs « numériques » un peu kitsch vieillissent assez mal.
Pour le reste, il ne faut pas entendre la célèbre tirade du Joker de Nolan, utilisée en préambule, comme un reproche sur le traitement très "premier degré" de l'histoire et des personnes: cette dernière fait écho aux nombreux avis que j'ai pu lire ça et là. Alors que ces mêmes critiques reprochent souvent l'aspect trop formaté des productions Marvel, le dernier rejeton de DC Comics/Warner devrait, à l'instar de ces dernières, intégrer davantage de traits d'humour? Je peux comprendre (difficilement) que l'on puisse être nostalgique du Batman d'Adam West ou de ceux de Joël Schumacher, mais dans le cas présent, nous sommes clairement en présence d'un Batman d'inspiration Millerienne, comprendre un personnage très sombre, torturé, plus que jamais sur la brèche: aussi eu égard au contexte, aux antécédents et aux événements (plus ou moins bien) décrits, le ton choisi par Snyder se justifie pleinement. Il y a là une véritable audace dans la caractérisation du héros de Gotham qu’on ne retrouve dans aucune des récentes productions Marvel, y compris dans le dernier Captain America qui bénéficiait pourtant avec « Civil War » d’un terreau fertile. D’une noirceur absolue et parfaitement incarné dans sa dimension physique par un Ben Affleck, dont le choix avait pourtant fait débat, on en vient à regretter que ce dernier n’ait pas eu, en préambule, les honneurs d’une aventure en solo afin de mieux poser les bases de l’univers DC Comics.
En effet, certains points sont survolés: il en va ainsi des événements à l’origine de la « radicalisation » du Chevalier Noir ou encore de l’introduction des futurs membres de la « Justice League »: à peine évoqués sous forme de clins d’oeil, ces éléments cruciaux de l’intrigue échapperont aux non-initiés. S’il n’est pas rédhibitoire, ce défaut habite et altère la fluidité de la narration tout du long. De même, les différentes coupures au montage se font un peu trop sentir et la communication autour du film, avec notamment l’annonce d’un Blu-ray « Director’s Cut » avec 30mn de plus, confirme que ce dernier a dû être amputées de quelques scènes.
Malgré tout, Batman v Superman : L'Aube de la Justice est assurément un spectacle divertissant qui revisite la mythologie des deux « antagonistes ». Des récentes productions « super héroïques » elle est, à mon sens, celle qui prend le plus de risques et fait montre d’une belle audace aussi bien dans le traitement de ses personnages que dans son dénouement et; si elle n’excelle pas en tout point dans son entreprise, on est également en droit de penser que ce qu’on nous donne à voir, méritait mieux qu'un accueil critique mitigé.