Bien plus qu'une simple tranche de vie bourgeoise, Belle de jour pose des questions délicates. Désir et amour sont-ils deux sentiments forcément liés ? L'infidélité est-elle juste une affaire d'acte sexuel ? Une relation non exclusive au niveau du désir est-elle vouée à l'échec ? Tant de problématiques sensibles que Buñuel porte sur l'écran à travers le portrait d'une femme aisée qui ne parvient pas à tromper l'ennui de sa vie bourgeoise. Enfermée dans une routine qui l'anesthésie, inhibée dans sa recherche de désir par une enfance qui a laissé des marques — évoquée à travers deux furtifs flashbacks —, Séverine, parfaitement animée par la froide mais sensuelle Catherine Deneuve, aimerait découvrir d'autres mondes que le sien. Alors, quand le frivole Henri Husson lui donne l'adresse d'une maison close de bonne réputation, la belle y trouve l'occasion de sortir de sa condition.

Buñuel confronte alors son actrice à une vie plus simple d’apparence, mais bien plus exposée aux désirs inavouables de la nature humaine. Sans tomber dans l'outrancier grotesque, le cinéaste oppose les deux vies de Séverine, sans pour autant en diaboliser l’une ou l’autre. Le monde de Madame Anaïs est peut être moins politiquement correct mais il permet à la jeune épouse de reprendre contact avec sa propre réalité, à tel point qu’elle se désinhibe aussi dans sa vie conjugale. Et pourtant, ces deux identités ne peuvent cohabiter, car elles ne sont pas faites pour se comprendre. Lorsque la frontière qu’avait dressée Séverine entre ses deux vies s’affaisse, le voyage arrive à son terme, avec pour conséquence la mort lente de son couple, symbolisée par l’immobilisme de son mari, dont la seule expression prend la forme d’une montée de larmes.

En plus d’être fortement achalandé niveau thématiques, Belle de jour est doté d’une solide gestion de son rythme. Malgré le côté insolemment immobile de chaque personnage — chaque scène ou presque est statique —, on ne s’ennuie pas une seule seconde. Il faut certainement créditer pour cela la belle brochette d’acteurs qu’y dirige Buñuel. Outre la glaçante Deneuve qui porte littéralement le film sur ses jolies épaules, la belle présence du taquin Michel Piccoli apporte une agréable touche de spontanéité aux différents duels qu’il livre avec la belle. Pour compléter le tableau, Pierre Clémenti fait preuve d’une fougue enthousiasmante en la personne du sanguin Marcel, seul personnage qui fera preuve d’un peu d’esprit d’initiative, un peu trop peut être.

Dommage que tout ce petit monde soit servi par des dialogues un brin trop écrits, qui empêchent la plupart des acteurs d’être complètement naturels. Piccoli y parvient sans mal, mais un peu trop souvent, dans la bouche de Deneuve ou de Jean Sorel, se sentent beaucoup trop les envies poétiques de leurs discours. Buñuel s’y est peut-être un peu trop attardé, au détriment d’ailleurs de sa mise en scène, qui manque tristement de poigne. L’ensemble est filmé de façon très classique, mais c’est à peu près tout, pas un seul plan ne reste en tête en fin de métrage. Trop carré, Belle de jour aurait mérité une mise en scène un peu plus ambitieuse, vu le sujet relativement subversif qui y est véhiculé.

Belle de jour est une belle aventure, dont la densité de fond fait toute la puissance et Catherine Deneuve tout le magnétisme. Ne manquent au tableau qu’un soupçon de naturel dans sa partie dialoguée et davantage de fougue dans sa mise en scène pour que l’ensemble s’exprime totalement.
oso
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le 7 août 2014

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