Les maux pour le dire
La fiction a toujours été un détour particulièrement efficace pour affronter le réel, ce n’est un secret pour personne : corriger les hommes en les divertissant est un programme établi depuis...
le 28 mars 2019
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Si l’on vous évoque le nom de Robert Zemeckis, vous devriez dans la plupart des cas penser au célèbre réalisateur qu’il était dans les années 80-90. Au bonhomme ayant commencé avec À la poursuite du Diamant Vert pour enchaîner avec des cartons planétaires et intemporels (la trilogie Retour vers le Futur, Qui veut la peau de Roger Rabbit ?, Forrest Gump, Seul au monde, Contact…). Et… c’est tout ! Comment ça ? Zemeckis aurait-il arrêté le cinéma après cela ? Bien au contraire, le metteur en scène a poursuivi sa carrière, mais sans parvenir à marquer les esprits comme il savait si bien le faire. Il a certes expérimenté le cinéma d’animation en motion capture (Le Pôle Express, La Légende de Beowulf et Le drôle de Noël de Scrooge) pendant près de 8 ans, avant de revenir à un style beaucoup plus conventionnel et – pour le coup – moins percutant (Flight, The Walk, Alliés). Il faut bien voir la vérité en face : Robert Zemeckis n’est plus le réalisateur qui nous transcendait par le passé. Il est devenu un faiseur de films ne parvenant plus à capter l’attention du public. Bienvenue à Marwen, avec son pitch des plus intrigants, avait de quoi redonner de l’intérêt dans sa filmographie. Voire même faire connaître à cette dernière un nouvel essor.
En voulant raconter l’histoire vraie de Mark Hogancamp, Zemeckis a voulu sortir des conventions pour nous livrer du cinéma pur et dur. Une œuvre qui utilise le pouvoir de l’image pour pouvoir nous raconter quelque chose. Une histoire, un personnage. Ou comment traiter la perte de réalité d’un homme qui, après avoir été agressé quasiment à mort au point de perdre la mémoire, se réfugie dans un univers qu’il a lui-même créé via des maquettes et des poupées. Plutôt que de passer par la case « biopic hollywoodien lambda », le papa de Retour vers le Futur a voulu allier ses années d’expérience et son savoir-faire de ces dernières années pour nous livrer un film hybride. Un long-métrage qui switche sans mal entre le tournage live pour exprimer la réalité vécue par le personnage et l’animation en motion capture pour visualiser son imaginaire. Avec un tel postulat, Bienvenue à Marwen partait gagnant d'emblée, empochant avec facilité l’unanimité des critiques. Assurant le retour d’un grand réalisateur qui s’était un peu perdu au fil des années.
Et autant dire que les premières minutes du film permettaient de souffler un grand coup. De se dire que le grand Zemeckis était toujours là, prêt à nous éblouir de par sa technique. En commençant Bienvenue à Marwen par une séquence « jouée » par notre héros, le bonhomme impressionne aussitôt : un crash aérien aussi spectaculaire que dans n’importe quel blockbuster, motion capture crédible, le jeu assurément exagéré des comédiens, l’humour et – surtout – l’animation des poupées (l’apparence et la gestuelle)… Zemeckis nous happe sans la moindre difficulté dans l’esprit de son personnage, nous proposant un univers ludique bigrement agréable à suivre. Oscillant entre délire un chouïa machiste, plaidoirie envers le féminisme et drame guerrier tout en piochant dans le vécu du personnage principal. Ces moments sont les plus réussis du film, aussi bien du point de vue technique (notons que le film n’a coûté que 39 millions de dollars) que scénaristique. Avec l’imagination de Mark Hogancamp, Zemeckis s’est littéralement lâché comme il ne l’avait plus fait depuis belle lurette, et cela fait véritablement plaisir à voir.
C’est alors que le fantasme se fige pour laisser place à la réalité. Celle où Hogancamp sort de son esprit pour redevoir faire face à son traumatisme. La peur de ses agresseurs. Son asociabilité avec les gens qui l’entourent. Son béguin quasi enfantin pour sa nouvelle voisine. Bref, diverses petites intrigues qui, mises bout à bout, pouvaient donner un drame des plus touchants compte tenu de l’imaginaire du héros. Mais si l’on retiendra l’interprétation très juste de Steve Carell (délaissant son habit de militaire baroudeur et fantasmé pour celle d’un vieux garçon fuyant la réalité) et certains plans avec lesquels Zemeckis semblent s’amuser question échelle (Hogancamp se mouvant au milieu de ses maquettes et poupées, par exemple), la sauce ne prend malheureusement pas. On retrouve pourtant la légèreté de Forrest Gump, la musique d’Alan Silvestri et cet esprit bon enfant et sincère propre au réalisateur… mais rien ne se passe. Si l’histoire touche, elle ne parvient pas à émouvoir, à toucher en plein cœur. La faute revenant principalement au fait que la réalité dépeinte dans le film se trouve être beaucoup trop abstraite : protagonistes aussi caricaturaux que les poupées, une écriture pas vraiment subtile voire maladroite, des effets de mise en scène excessifs (le flashback de l’agression, la peur envahissant le corps de Hogancamp…), des compositions musicales qui en font souvent des caisses… Personnellement, j’ai bien eu du mal à suivre le retour à la réalité du héros, que je trouvais pour le coup lent et bien trop conventionnel (entendre par là hollywoodien) pour intéresser. L’ensemble m’a évidemment touché et parfois fait rire (Hogancamp fuyant le procès est un régal), mais pas autant de ce que me promettait initialement le film. Loin de là ! À trop s’attarder sur cette réalité pompeuse, prenant le pas sur les passages en animation, Bienvenue à Marwen m’a paru bien long et même assez bancal dans le traitement de son histoire. Artificiel, même ! Il suffit de voir son dénouement, parfait exemple de happy end excessivement positif (cette musique, d’un cliché…), pour admettre que même avec le savoir-faire du réalisateur, la magie tant espérée n’a pas opéré…
Même avec cette envie de faire du cinéma, Zemeckis n’est pas parvenu retrouver son aura d’antan. Comme il le fait depuis déjà quelques années, le réalisateur livre avec Bienvenue à Marwen une œuvre certes intéressante et touchante, mais ô combien classique et oubliable. Prouvant que le bonhomme est devenu l’ombre de lui-même, allant jusqu’à s’autociter (la DeLorean de Retour vers le Futur) pour meubler son œuvre. De la part d’un cinéaste de son acabit, c’est navrant. Alors oui, le film peut vous plaire. Un avis reste entièrement subjectif et mérite d’être partagé pour pouvoir discuter et débattre. D’autant plus que Bienvenue à Marwen n’est pas un mauvais film. Juste que celui-ci n’a pas réussi à me convaincre alors que son réalisateur est capable de bien plus marquant que cela.
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Créée
le 16 janv. 2019
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