Personne n’est dupe quant à la générosité de Netflix à l’égard de certains cinéastes : attirer dans l’écurie des auteurs en leur finançant ce que les producteurs leur refusent permet un recrutement qualitatif qui pourra attirer la frange cinéphile d’un public qui leur résiste encore. Ainsi de Jean-Pierre Jeunet, qui n’a rien tourné depuis l’échec au box-office de T.S. Spivet il y a déjà 9 ans, et qui n’a pas réussi à convaincre les partenaires historiques quant à la faisabilité de son nouveau projet, soit une une dystopie futuriste où les robots prendraient le pouvoir dans une résidence pavillonnaire en 2045. On connaît l’appétence du réalisateur pour la technologie, les innovations et son goût du burlesque depuis ses expériences en compagnie de Marc Caro. La science-fiction, la caricature et la comédie un peu grinçante semblaient effectivement convoquées pour cette nouvelle expérience, dans laquelle la direction artistique justifie une importante part du budget. Ce rétrofuturiste bigarré séduit sur les premières séquences, juste avant que les comédiens aient la mauvaise idée d’ouvrir la bouche.
À bien y réfléchir, la séquence d’ouverture annonçait la couleur : un show de robots promenant des humains se reniflant l’entre-jambe avec rires enregistrés, qualifié de « pas drôle » par des humains qui ne comprennent pas l’avertissement lourdaud qui vient de leur être imposé.
BigBug est un désastre généralisé, qui tente de présenter comme volontaires des partis-pris se vautrant les uns après les autres. On pourrait à la limite comprendre l’idée de ce surjeu, fréquent chez Jeunet, pour illustrer une humanité en voie de péremption cherchant vainement satisfaire ses désirs. Mais la machine tourne à vide dès le départ, par des dialogues laborieux, une exposition au forceps qui catalogue tous les travers de l’excès domotique, et enferme le spectateur sur un vaudeville en huis clos qui va rapidement virer au cauchemar. Le cinéaste semble penser que ce confinement se suffit à lui-même, et justifie l’absence totale d’enjeu pour une enfilade de scénettes gênantes où on joue à touche-pipi sur trois générations en s’inquiétant davantage du dysfonctionnement de la clim que du sort de l’humanité. La dystopie, qui voudrait convoquer les réflexions de Blade Runner et la farce noire de Brazil, se cantonne à des clichés d’une paresse confondante où un vilain droïde fustige l’humanisme en brûlant des livres. Les robots domestiques, quant à eux, s’interrogent sur l’essence même de l’humanité, reprenant à la sauce Madame est servie les thématiques mythologiques jadis abordées par de grands cinéastes.
La facticité de toute cette comédie grossière finit par avoir des conséquences sur la perception générale du film. Ainsi de cette galerie de robots qui, apprend-on, sont construits physiquement, dont la superbe tête d’Einstein, assemblage mécanique de bois et de métal animé par plus de 80 moteurs. Leur interaction avec des acteurs à la participation mécanique et leur dilution au sein d’une direction artistique exhibant à ce point l’artificialité les fait passer pour des créations en CGI, désactivant ce que l’auteur a pu y insuffler en créativité.
Mais le film devient réellement problématique par les résidus de discours qui finissent par surnager de ce fatras inepte, que ce soit dans l’argot suranné de l’ado, la révolution copernicienne digne d’une copie de 6ème entre homme et animal ou la vision proposée de la comédie familiale où la jeune chaudasse bimbo à un neurone finit avec le vilain queutard tandis que bobonne fait revenir l’ex futur ex bedonnant dans le rang. Le rétrofuturisme ne concerne donc pas que la direction artistique : BigBug est une embarrassante satire d’anticipation vue par un homme du passé, et un cinéaste malheureusement dépassé.