Pascale Ferran est une cinéaste rare. Bird People est ainsi son quatrième long-métrage en l’espace de vingt ans et huit ans se sont écoulés depuis le panthéiste et miraculeux Lady Chatterley. Son retour était donc attendu avec impatience quand on connait la rigueur et l’intelligence du travail de la complice d’Arnaud Desplechin. Le résultat qui fusionne toujours la finesse psychologique avec l’ambition formelle est à la hauteur de cette longue expectative. Axé autour de deux personnages : Gary Newman, un ingénieur informaticien en transit à Roissy et Audrey Camuzet, jeune femme de ménage dans un hôtel jouxtant les pistes de l’aéroport, le film emprunte également à deux registres différents : le réel et le fantastique qui se rejoignent dans une sorte de poème culotté qui croit à la puissance du merveilleux et, par ricochet, du cinéma.

Connue pour ses engagements, la réalisatrice de Petits arrangements avec les morts ne pouvait pas ne pas ancrer son nouvel opus dans l’époque contemporaine, celle de la mutation et de l’envahissement technologique, la désagrégation des liens réels et la solitude qui en découle. Le lieu qui incarne le mieux cette évolution est idéalement un aéroport international. Un choix doublement justifié quand Bird People basculera dans l’irréel et l’allégorique, où il sera beaucoup question d’oiseaux et d’envol. Avant de pénétrer le périmètre aéroportuaire, Pascale Ferran filme l’activité de la gare du Nord – rappelant du coup le premier film français exceptionnel de cette année, Eastern Boys – et parcourt les travées d’un train de banlieue, échantillonnage d’une population bigarrée et cosmopolite, autochtone et étrangère, sédentaire et nomade, pareillement rivée aux écrans ou plongée dans ses pensées, protégée des bruits extérieurs par la musique diffusée des écouteurs logés dans ou sur les oreilles. Il est frappant de constater par la suite que l’ensemble des dialogues, au demeurant plutôt réduits, se déroulent par téléphones ou ordinateurs interposés, y compris dans une longue et intense séquence, comme si la technologie rendait plus faciles les confessions douloureuses.

De ce monde en pleine déshumanisation, où les hommes courent comme des poulets sans tête, ne vaut-il pas mieux au fond s’extraire, réellement ou par le pouvoir de la pensée ? On accepte dès lors aisément une transformation radicale qui a le double avantage de quitter une enveloppe corporelle parfois lourde à supporter et de prendre de la hauteur et du recul. Outre sa dimension philosophique, elle est aussi le prétexte idéal à la composition de plans époustouflants, à la beauté et à la fluidité prompte à couper le souffle. C’est peut-être naïf et idiot, mais le décollage d’un avion, son évaporation dans les nuages, ça reste un moment toujours répété et magique. Loin de tout angélisme, la vision de Pascale Ferran sur Roissy n’est pas sans rappeler celle de Nicolas Klotz, certes plus frontale et signifiante, dans La Blessure (2005). Si elle fait elle aussi le pari de l’intelligence et de la curiosité du spectateur, elle fait preuve d’une audace téméraire en l’embarquant dans son imaginaire. Bird People décolle donc, au propre comme au figuré, de la réalité, et nous avec. Et réussit la parfaite alchimie entre le cinéma ludique et inventif d’Alain Resnais dont la réalisatrice aime à revendiquer l’influence et la fantasmagorie du cinéma asiatique. C’est bien le qualificatif de ‘film-monde’ qui semble alors le mieux convenir à l’extraordinaire Bird People.
PatrickBraganti
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le 4 juin 2014

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