On rit rarement en compétition officielle à Cannes : rien que sur ce point, le film de Spike Lee était une véritable bouffée d’oxygène. Comédie satirique assez culottée, Blackkklansman traite d’un sujet brûlant aux États-Unis par les détours d’un récit empruntant aux codes de la blaxploitation. La légèreté est assumée et c’est elle qui permet les séquences les plus réussies du film : par les portraits satiriques des membres du Klan (joli rôle de Topher Grace), la nonchalance culottée du flic en infiltration (John David Washington, doté d’un capital sympathie immédiat) et un sens du détail qui fait souvent mouche. C’est dans sa façon d’aborder le langage que le film est le plus percutant (le voir en VO est une nécessité absolue) : les exercices de diction pour paraître blanc, l’accent sudiste ou afro-américain sont le terrain de vannes bien senties et l’occasion d’une réflexion culturelle assez fine.
Sur le récit général, Spike Lee balance entre deux références : les frères Coen pour la dimension satirique, et Tarantino pour l’insolence. Dommage que le spectateur y pense si souvent, car les modèles sont trop prestigieux pour ne pas lui faire du tort : Spike Lee est résolument classique dans sa mise en scène, et s’il est pertinent dans le détail de certains échanges ou portraits, la structure générale de son récit est beaucoup plus convenue (la fin, avec menace d’attentat, est vraiment très faible), et d’ailleurs trop longue pour un film aussi peu ambitieux en terme de narration. Le temps qu’il passe sur certains discours est ainsi assez dispensable, même si l’on comprend évidemment l’importance qu’il accorde à leur fond.
C’est là, un peu tristement, le point faible du film : l’équilibre que le réalisateur ne parvient pas à trouver entre sa conviction militante et son malice d’entertainer. Ses règlements de compte avec Naissance d’une nation de Griffith étaient nécessaires, mais virent à l’exposé et ne trouvent pas vraiment leur place dans l’architecture du récit. Les messages grossièrement appuyés à l’Amérique de Trump sont certes amusants (Make America Great Again asséné par les membres du Klan, par exemple), mais répétitifs et un peu essorés au bout d’un moment, d’autant que le réalisateur se sent obligé de conclure son récit par des images documentaires de 2017 sur le racisme contemporain. Un peu à la manière d’un Michael Moore optant pour une rhétorique qui saura toucher les gens dont il critique l’absence d’esprit critique, Spike Lee livre une partition assez poussive, et contribue à ce que le film s’embourbe progressivement.
Au spectateur de se montrer tolérant face à ce didactisme peut-être inévitable : il n’empêche pas d’apprécier le talent comique de ses comédiens, et la gravité des enjeux pour une Amérique qui semble toujours aussi crispée sur la question raciale.