"La belle qui couchait avec le roi de Prusse" *
Je suis longtemps passé à côté de Verhoeven sans vraiment jeter un coup d’œil à sa filmographie. Mais quand je m'y suis mis, j'ai vite compris qu'on avait là un cinéaste qui avait une véritable vision de l'homme et de belles idées de mises en scène.
Cependant, même après avoir savouré quelques films du bonhomme, Black Book ne me tentait pas plus que ça. Il faut dire que les films sur la Seconde Guerre Mondiale, la Résistance et tout le tremblement, ça me gave un peu. Disons que j'ai toujours l'impression de voir la même chose, et les enjeux commerciaux des films sur les "combattants de l'ombre" sont devenus trop importants.
Il aura fallu la critique de Docteur_Jivago pour me lancer. Grand merci à lui.
Une fois de plus, Verhoven arrive avec sa conception toute pessimiste d'une humanité pas encore sortie de la sauvagerie, d'une bestialité mal dégrossie qui gît toujours là, cachée mais prête à passer au premier plan à la moindre occasion. Or, la guerre, c'est l'occasion idéale pour déchaîner la bête.
Il nous avait déjà fait le coup de la guerre, le Paulot. Finalement, les combattants de Black Book ne sont pas très différents de ceux de La Chair et le Sang. Les deux époques sont d'ailleurs judicieusement choisies pour traiter du sujet : un Moyen Age que l'on a l'habitude de représenter comme une période inculte et sauvage, ou un Nazisme que l'on montre généralement comme propice à laisser libre cours aux instincts les plus bas.
Car c'est bien de cela qu'il s'agit : déchaîner ses instincts. Effacer le mince vernis de la civilisation pour céder la place au brutal, au barbare. Même Müntze, que l'on pourrait, de prime abord, croire plus civilisé, est quand même régi par ses pulsions, sa libido.
Avec la patte Verhoeven.
Jamais je ne serai assez reconnaissant au cinéaste d'éviter l'habituel manichéisme de ce genre de film. Les méchants Nazis contre les gentils résistants ? Et pis quoi encore ! Le danger est partout. Instaurant d'emblée un climat de tension permanente, le cinéaste parvient à nous faire comprendre que, dans cette situation, il faut craindre tout le monde. Que les coups mortels peuvent venir aussi bien des ennemis que des prétendus alliés. Que les soutiens peuvent venir aussi bien des alliés que des prétendus ennemis. Rien n'est simple, et faire du simplisme relève du crime historique. Le général nazi qui aide les alliés, champion d'un retournement de veste généralisé qui suit les tendances du vent politique, est un bel exemple.
La réalisation paraît simple, sans gros moyens (je ne parle pas ici des moyens financiers, mais des moyens cinématographiques). Mais il ne faut pas croire que Verhoeven s'est assagi. La violence est toujours là, et elle frappe d'autant plus qu'elle est généralement présentée sans fard, sans le cosmétique qui pourrait la rendre acceptable. Black Book est parfois insoutenable. C'est ce qui en fait un grand film.
Au milieu de tout ce magma, il y a une femme. Car ce film est aussi, avant tout peut-être, un magnifique portrait de femme, une femme forte, inoubliable, transportée dans les affres d'événements historiques qui pourraient la dépasser mais qu'elle cherche, à son niveau, à dompter. Avec, au coin, la question de la morale...
Le rythme est impressionnant. Malgré sa longueur, le film défile à une vitesse folle. L'interprétation est excellente.
Black Book est un film dur, violent, désabusé. Un film que l'on doit voir, même s'il n'est pas agréable à voir.
[8,5/10]
* Georges Brassens, "La Tondue"