Carie au bal des vampires ?
Allé, c'est un petit peu un plaisir coupable. Un relent d'adolescence. Que voulez vous, on ne se refait pas. Il faut replacer les choses dans leur contexte, on est en 1998, et l’imagerie du vampire en cuir s'opposant à des illuminati d'immortels sur fond de techno avec des armes improbables suspendu par des cintres pour faire du cas raté en bullet time était encore relativement inédite.
Underworld et consors, que neni. On a bien eu le truc de Carpenter, une perlouze de Rodriguez, tout ça pour faire oublier les chochottes en dentelles et froufrous de Anne Rice. Putain qu'est ce qu'on aurait dit à l'époque si Twilight existait déjà ? Peut être me serais-je alors converti au jet d'ail...
En plus, Matrix n'était pas encore sorti pour s'imposer comme le nouveau canon esthétique du film d’action fantastique ou SF. Il faut rendre à César...
Bref. D'un côté du ring on a un beau tâcheron d'au moins trois ou quatre films (Norrington) —on ne compte pas son poids en livre, il ne sait pas ce que c'est ; et de l'autre un scénariste (David S. Goyer) en passe de devenir incontournable dans le cinéma post 2000 obnubilé par les collants et les capes, dont le ridicule intrinsèque ne dérange plus tant qu’il se révèle rentable.
Au milieu, Wesley Snipes, stoïque poutre d’ébène sous prozac, et tout un tas de conneries, je l’avoue, difficilement pardonnables :
Stephen Dorff en méchant. Stephen Dorff en méchant vampire. Stephen Dorff en méchant vampire qui sort le jour. Et surtout, Stephen Dorff en méchant vampire qui sort le jour grâce à l'application d'une crème solaire.
À ce jour, je ne sais toujours pas si je dois en rire ou en pleurer de désespoir hystérique.
Mais encore, une hématologue qui chie en un quart d'heure un rétro virus capable de guérir le vampirisme, état de fait justifié par une mutation génétique vieille de plusieurs millénaires et finalement aussi facilement curable qu'un rhume des foins.
À ce jour, j’en ris.
On peut aussi se demander comment un groupuscule de nosferatus multi-millénaires de sang pur et tip top malin a pu survivre à tout autant de siècles de tumultes dans l'histoire de l'humanité —y compris l'Inquisition, tiens— quand on les voit se soumettre aussi docilement à un putsch foireux mené par une bande de bras cassés pas plus vieux que l'invention du tourne-disque, et crever sans mot dire avec la rapidité et la résolution qui leur est exigée.
Je croyais qu’ils avaient les dents longues…
Ah oui, j’allais oublier le coup la prophétie déchiffrée et appréhendée dans sa totalité à partir d’un petit bout déchiré de la bible des vampires. C’est à se demander pourquoi ces cons se sont décarcassés avec tout le sang froid qui les caractérise à dépecer de pauvres bougres pour écrire leurs évangiles…
Et puis Norrington, metteur en scène de son état, ça a pas trop l’air de le déranger de laisser ses figurants aussi apathiques qu’un plat de bolognaise face au spectacle pourtant peu banal d’un grand black tout de cuir vêtu avec un katana dans le dos fracassant la tronche d’un flic en uniforme sur le coffre de sa voiture avant de lui tirer dessus en pleine rue au milieu des passants.
Une photo des figurants extraite de la scène pour vous convaincre : http://tinyurl.com/lye9rj9
Mais voilà, j’ai quand même pas mal de sympathie pour ce film.
Premièrement, le comics étant sorti en plein boum de blackspoilation (1974), il en ressort une particularité assez intéressante pour le genre : un personnage de vampire pour le coup à contre courant ; noir de surcroit. Un noir issu de la mixité, vivant comme un paria, faisant la guerre à une hiérarchie systémique basée sur des considérations ethniques. Pensez donc, un héros noir, créature nocturne (pléonasme de l’auteur ?), bottant le cul à l’un des mythes européens les plus anciennement ancré dans l’imaginaire populaire.
Secundo, Norrington est une truffe question mise en scène mais il filme assez proprement et avec plus de finesse qu’on ne le croirait un film d’action aux mouvements de caméra nerveux tout en conservant une lisibilité plus qu’acceptable. Je dirai même que certaines idées s’avèrent un plus question efficacité du rendu : tremblements épileptiques accompagnant des gestes et coups rapides évoquant ainsi la dynamique d’une case de manga, inserts et séquences en accéléré au décalage intéressant (la scène de filature en voiture), plan de ville en time lapse apportant un flottement bienvenu dans le rythme, sans oublier ces fameux sauts d’abuseur d’un immeuble à l’autre bien en avance sur les Wachowski, ces rotations et travellings dans les séquences de combat dont le montage assure un tempo impeccable, appuyées par des CG malheureusement datés mais au top à l’époque.
Oui le sang numérique hideux, les âmes gargouille de synthèse moches à pleurer je l’accorde. Mais aussi laids et artificiels que puissent paraître les combustions de vampires décalqués par Blade sur nos écrans modernes, on peut néanmoins toujours leur accorder une sacré pertinence et efficacité dans l’action.
Et puis j’aime beaucoup la façon dont Norrington introduit Blade, citant sans aucun doute la caméra de Cameron sur Terminator : des pieds solidement plantés au sol, un travelling vertical, un buste puissant, du cuir, des lunettes de soleil, un balai dans le cul ; tout est là. Et quand on remarque la citation on peut s’amuser à la retrouver déclinée dans les diverses façons dont le personnage est cadré tout au long du film.
On se retrouve tout de même avec un esprit très 90’s dans la gestion du spectacle, pas encore criblé de références ou de citations formelles pataudes, pionnier d’une ère d’adaptation de comics numériques contenant quelques effets en dur malheureusement de plus en plus rares, ou quand l’opportunisme des studio se montrait encore inférieur à leur crainte mercantile ; la preuve, même débarrassé de pas mal d’idées borderline du script initial de Goyer, le film contient suffisamment de violence pour violer par tous les trous le sacro saint PG13, label tout puissant caractéristique des productions actuelles (je ne me remettrai jamais de WWZ).
C’est assez maladroit, assurément crétin, mais ça assure le spectacle et l’assume avec suffisamment de générosité pour rentrer dans la case des plaisirs coupables un poil régressifs sans rougir.
À moins d’avoir une dent contre.