Une odyssée à la poursuite de l'humanité.

Adapté assez librement du roman Do Androids Dream Of Electric Sheep? du grand Philip K. Dick que ce dernier considérait a priori comme un de ses travaux mineurs, Blade Runner est sans doute l'oeuvre la plus réussie du faiseur d'ambiances Ridley Scott (Alien, Legend, Gladiator dans une moindre mesure) qui allie ici son sens de l'esthétique à un questionnement plus intime et pourtant ô combien universel - une volonté qui pourrait bien être liée à la mort subite de son frère, Frank, peu avant qu'il se livre à ce projet. Alliance unique entre néo-noir et atmosphère cyberpunk dont ce film est un des progéniteurs, Blade Runner a la particularité de pousser les retranchements du genre plus loin qu'une banale intrigue policière. Détails - au risque de "spoiler", comme on dit, mais n'ayez crainte, il s'agit ici d'une création qu'on a le droit de regarder plus d'une fois.

A première vue, Blade Runner est un film policier futuriste au rythme lent dont le principal intérêt réside dans le travail lié à l'univers atypique qui est présenté sobrement à travers un enchaînement d'impressions succinctes qui, à chaque fois, laissent leurs marques et participent à former un tout extrêmement pertinent. Ce serait une erreur de s'arrêter à cette vision-là. En effet, Blade Runner n'est pas qu'un film d'ambiance comme Ridley Scott sait - ou plutôt savait - les mijoter (Alien, Legend toujours). C'est un ensemble qu'il s'agit de regarder tel quel, qui transmet certes un climat singulier mais qui propose également un chemin vers une réflexion fournie et un sens de l'émotion très spécifique qui tiennent sans doute beaucoup au fait que l'on est déjà ici en présence d'un grand bouquin.
Les sentiments transmis, en effet, sont une clé à l'appréciation de Blade Runner. Alors, évidemment, ce n'est pas l'émoi qui cherche à faire tirer les larmes tel Gladiator ou le très risible Kingdom Of Heaven. Mais il est pourtant bien présent, terriblement présent, et son impact ne l'est pas moins. Le regard vide et la démarche d'un égaré chez Harrison Ford en disent long sur le désemparement de Deckard, tout comme la passion se lit aisément dans l'agitation et l'ardeur expressives du talentueux Rutger Hauer, ou encore le doute chez le personnage de Rachel et la retenue exacerbée qu'elle s'impose durement. Comme nous le transmet si bien la bande sonore mémorable de Vangelis, on assiste aux petits sursauts de quelques individus perdus dans la grande machine. Dans ce monde cruel, jamais l'on n'éclate en sanglots, du moins pas en présence d'un autre, c'est le principe de ce monde déshumanisé. On garde l'air formel, le sérieux qu'un homme se doit d'avoir, mais à l'intérieur on bout sans trop savoir mettre le doigt sur la cause, d'où le désarmement.
On en vient au point critique : les thématiques dont ce film regorge. De la même façon que l'émotion n'est pas outrancièrement explicite, Blade Runner ne nous martèle pas de réflexions profondes à chaque minute jusqu'à nous triturer le crâne. A l'image du film qui prend volontairement son temps, à un rythme posé et pesant, on s'imprègne du sujet petit à petit mais durablement. C'est d'autant plus à ce niveau que l'ambiance et l'esthétique envahissantes du film sont doublement importantes, car il est vrai que Blade Runner a en somme peu de dialogues. Pourtant, l'atmosphère dans laquelle ceux-ci sont baignés leur donne constamment une lourdeur, un poids inégalables. Mais en parallèle, les actions sont au moins aussi importantes que les dires. Tout au long du film, Deckard traque et tue des androïdes qui ont simplement envie d'être libres, humains en quelque sorte. C'est son métier. Dans l'histoire, c'est plutôt lui le robot. Là où il vit, c'est tranquille, il n'y a rien d'extraordinaire. Il est simplement désabusé, il ne demande plus rien à la vie, il a le temps, il ne sait pas pourquoi il est là. Il demande juste à ce qu'on le laisse tranquille et qu'il puisse rentrer chez lui le plus vite possible pour ne pas y faire grand chose... C'est une loque, il vit plus longtemps que ceux qu'il chasse mais il est déjà mort. Tandis que les androïdes sont des éclats, des cris qui se consument vite et qui étincellent, qui demandent tout à la vie parce qu'ils l'aiment ; eux ont vécu des choses et c'est pour cette raison qu'ils ne sont pas indifférents à l'égard de la mort. Ils se battent ne serait-ce que pour avoir un peu plus de vie. Mais ce qui m'a le plus impressionné à titre personnel est le fait que leur leader est en définitive une sorte de figure altruiste, christique en somme. Sa passion pour la vie ne l'empêche pas d'accepter la mort comme elle vient, puisqu'il va jusqu'à la mettre en scène. Même sa mort est rendue belle. Il l'organise, il meurt comme il l'a décidé pour faire comprendre quelque chose à Deckard. Il tient plus à l'idée qu'il se fait de la vie qu'à sa vie en elle-même. Il se présente comme une sorte de salvateur qui veut répandre tant qu'il le peut son message au monde, comme un envoyé divin qui chercherait à montrer que l'homme s'égare. Avec les dons que Dieu leur a faits, les hommes ont créé une créature qui les dépasse, une image de la perfection de la vie. Cette image leur est supérieure (une raison, sans doute, pour la défaire). Mais elle est jetée dans cette communauté de fous, parmi des hommes désaxés, qui ne suivent plus de chemins, sans rêves. Et c'est en ça que dès sa naissance la créature est condamnée à la destruction. Ces déviants qui croient comprendre la vie sont un appel, un espoir, une résistance face à ce que devient le monde. J'ai presque envie d'ajouter "à ce qu'est le monde aujourd'hui", puisqu'à mon sens on en est moins loin qu'on veut bien le penser.

En conclusion, Blade Runner n'est pas qu'un film de science-fiction, n'est pas un film d'action, mais une sorte de rite initiatique dont il faut accepter le rythme et la lourdeur. Il ne faut pourtant pas être rebuté en lisant ces lignes par le caractère pesant du récit qui est en réalité une de ses plus grandes qualités - Blade Runner, cela va sans dire, n'en fait pas trop. Il est justement dosé et accessible, d'où sa popularité aujourd'hui. C'est une douce rencontre savamment élaborée entre plaisance, univers agréable à l'oeil et profondeur suggérée et réelle. A la recherche de scènes marquantes, on en trouvera quelques-unes mais vis-à-vis de ce film, je suis opposé à cette façon de faire. Il s'agit d'un long-métrage et non d'un enchaînement abscons de séquences et pour véritablement se plonger dans Blade Runner, il faut en accepter les parties comme les composantes d'un tout dont le mysticisme errant n'empêche pas une réelle continuité et une cohérence imparable. Selon moi, un classique qui mérite sa reconnaissance.
Moondust
9
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le 28 sept. 2012

Modifiée

le 28 sept. 2012

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Moondust

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