Pourquoi "Blade Runner" manque de Lumières
Si le titre de cet article se veut mystérieux, ce n’est pas seulement pour attirer le chaland, mais principalement pour remettre en cause le statut de film culte dont jouit ce film. Car oui, à la moindre rétrospective tournant autour de la science-fiction, du polar noir, de Philip K. Dick et j’en passe, Blade Runner est chaque fois cité comme une référence en la matière. Et pourtant…
Et pourtant, le tableau est plutôt sombre. D’ailleurs, dans Blade Runner, tout l’est : dans la rue, dans le commissariat, dans les immeubles, presque aucune lumière ne transparaît. Pour le metteur en scène, c’est tout bénef’, puisque l’obscurité évite d’avoir à meubler les décors, permet des raccords plus propres entre les prises de vue réelles et les incrustations, sans oublier que, sans éléments arrêtant le regard, l’effet de profondeur s’en trouve considérablement augmenté. Pratique, pour des décors en carton-pâte au format un huitième. Le parti-pris d’une obscurité permanente n’est cependant pas mauvais en soi, mais encore faudrait-il, comme dans Delicatessen et Dark City, savoir s’en servir. L’emploi de touches colorées dans le premier produit une ambiance cartoonesque, signature de Jeunet, tandis que le second fait la part belle aux clairs-obscurs, renforçant davantage la noirceur des lieux, tout en guidant judicieusement le regard du spectateur vers ce que l’on veut bien lui montrer, dans les zones surexposées. Dans Blade Runner, rien n’est vraiment souligné par la lumière, rien n’est vraiment caché. Tout baigne dans une relative obscurité, le regard y cherche continuellement un point d’accroche, en vain, et finit par s’y perdre, à l’instar de l’intérêt pour l’histoire.
Car l’histoire, si le fait qu’elle tienne sur un ticket de métro n’est pas rédhibitoire en soi – combien de bons films sont construits sur un scénario des plus simples ? -, son traitement laisse perplexe : n’y avait-il pas nombre de thèmes à aborder à partir d’un tel sujet ? Alors certains parleront de quête identitaire (celle des répliquants comme celle du flic qui les traque), mais encore ? Rien, que dalle, zéro. A partir des mêmes ingrédients (polar futuriste, cyborgs et quête identitaire), Ghost in the shell nous questionne autant qu’une émission philosophique anémique sur France 5, l’intérêt et l’action en plus, alors que la seule interrogation qui ponctue Blade Runner est de savoir si Harrison Ford est, oui ou merde, un putain de répliquant. Les Descartes, Voltaire et autres Lumières peuvent aller se rhabiller, rien à foutre de se poser des questions sur la nature de l’Homme et tout le reste, on veut juste savoir si l’autre tête de nœuds qui chasse du répliquant depuis 20 ans n’en serait finalement pas un. Comme si le mec ne s’était déjà pas posé la question avant nous, ou s’il n’avait pas essayé son test infaillible sur lui, un soir de curiosité et/ou de beuverie. Mais non, c’est logique, qui plus est pour un flic, il n’est au courant de rien et ne se pose jamais de questions. Vive l’origami, vive les licornes et vive la coke dans les narines de Ridley Scott.
D’accord, les effets spéciaux étaient innovants pour l’époque (même si Star Wars avait déjà bien ouvert la voie quelques années plus tôt et que, peu de temps après, Retour vers le futur produisit un bien meilleur rendu à partir des mêmes techniques de trucage) ; d’accord, il est reconnu comme mission impossible d’adapter à l’écran du Philip K. Dick (bien que Total Recall et Minority Report prouvent étrangement l’inverse) ; d’accord, l’aura de ce film n’a pas du tout profité du succès précédent de Ridley Scott, Alien (sans quoi il serait sorti directement en direct-to-VHS ?). Alors soyons honnêtes, reconnaissons que Blade Runner ne vaut pas mieux qu’un téléfilm de l’après-midi sur la TNT… Sinon, Harrison Ford, répliquant ou pas ?