Voir Blade Runner au cinéma est une expérience dont on est loin de ressortir indemne. Qui nous parcourt de tout son long, par nos sens, par nos yeux, par nos oreilles.
D'abord, il y a les couleurs. Ce bleu nuit qui irradie tout, cette lumière, obscurité sans nom, jaillissement de jaune, soleil kitsch des années 80, visages somptueux dans l'immensité d'un écran géant. Le cinéma, c'est ça : on y entre pour aller voir un film vu et revu. Blade Runner. On y sort avec l’impression d'une immense claque, de celles qui surpassent tout, même les précédentes visions qu'on avait du film.
Cette esthétique alors, d'une perfection sans borne, qui ne cesse d'éclater ces lueurs, ces visages immensément grands, immensément beaux (celui de Harrison Ford, celui de Sean Young, sidérante de beauté, celui de Rutger Hauer, blondeur fracassante).
Parce que Blade Runner, avant tout d'être un film philosophique, métaphysique, sur lequel maintes et maintes interrogations n'ont cessées de voir le jour, est tout d'abord un film à ambiance. Et cette constatation, que dis-je, cette grandiloquente révélation, est d'autant plus forte que je l'ai vu au cinéma.
Blade Runner ne cesse de cacher dans ces tréfonds des brides de connaissances, messages qu'il faut savoir décrypter, interprétations qu'il faut savoir chercher, regards multiples sur le pourquoi du comment d'un film, mais finalement, tout ça est loin d'être important. Finalement, on aime Blade Runner non pas parce qu'il nous permet de nous torturer l'esprit (ce qui peut rendre inexorablement fou à lier, donc non, je laisse tomber), mais parce qu'il possède cette ambiance unique, indescriptible, rare, qui plane et plane, et plane le long des rues baignées d'obscurité. Cette musique qui amplifie la salle de ces sonorités planantes et électriques, jazz et atmosphériques, et donne au film toute son ambiance, sa lenteur, sa langueur, envoûtement considérable d'un film qui ne cesse de frémir, de durer, de jaillir. De prendre son temps et de donner au temps son besoin d'être au monde, simplement.
Jaillissement de pluie, humidité, crasse d'un monde engouffré dans son unique noirceur, monde vain et dépeuplé, où l'humain joue à être humain, où la philosophie ne cesse de pointer le bout de son nez.
Tout est ainsi d'une lenteur à couper le souffle, même lorsque la lenteur n'est pas celle de l'extrême, comme on peut le voir dans un Antonioni, ou pire, chez Bela Tarr. Non. Les personnages, l’atmosphère, l'ambiance, l'entièreté d'un film cinématographique, est baignée d'une langueur incommensurable. Personnages qui parlent en prenant sans cesse leur temps, et alors c'est comme s'il se regardaient vivre. Nous nous tenons dans le brouillard d'un monde, atmosphère électrique, lancinante, bleuie par la bleutée de la nuit omniprésente et inéluctable. Un jour qui n'existe pas, que l'on ne voit que lorsqu'il se lève, ou qu'il se couche. Alors la luminosité du soleil devient d'un or stupéfiant dans la bleutée macabre d'une obscurité, où Harisson Ford se tient droit face à l'existence.
Alors ainsi, au vue de cette pluie qui ne cesse de projeter son flot d'eau, ce balayage fluvial dans l'envergure d'un monde, on pense à Taxi Driver, encore, évidemment. Monde englouti dans sa propre perdition, qui ne laisse d'espoir à personne. Crasse d'un monde où l'être humain se retrouve conditionné malgré lui. C'est là alors que le questionnement philosophique apparaît, pour ne plus nous lâcher.
La condition humaine, évidemment. C'est ce qui ne cesse de jaillir de partout, tout le temps, dans chaque cinématographie, chaque questionnement sur le monde.