Humains, trop humains... (version 2.0)
Les critiques les plus difficiles sont celles qui concernent mes oeuvres préférées. Je veux tellement persuader de leurs énormes qualités que j'ai peur d'échouer. Voici donc la deuxième version de ma critique sur ce film.
Bon, ici, je sais que tout le monde est convaincu : Blade Runner est une merveille. Que dire d'autre ?
Blade Runner est beaucoup plus qu'un simple film d'anticipation. Bien entendu, ça se déroule dans un futur sombre, où l'humanité est misérable (celle qui reste sur Terre, évidemment, et qui n'est constituée que des déchets qui ne peuvent accéder aux colonies de l'espace), où les animaux ont presque tous disparu, où il fait constamment nuit, où il pleut toujours. Bien entendu, il y est question d'androïdes. Bien entendu, il y a des effets spéciaux (qui sont tout simplement magnifiques : Douglas Trumbull était le meilleur concepteur de trucages de l'histoire cinématographique).
Mais il y a beaucoup plus.
Blade Runner, c'est l'histoire d'hommes et de femmes qui savent que leur temps de vie est compté et qui veulent savoir pourquoi. Les Nexus 6 ne sont pas des androïdes ; ils sont comme chaque être humain qui s'est, un jour, posé des questions sur la mort.
Le film joue énormément sur l'ambiguïté entre robots et humains. [SPOIL] Ainsi, quand Rachel tue Léon, elle agit consciemment contre quelqu'un de son "espèce" par amour. Des robots amoureux ? [FIN DU SPOIL]
Mais Rachel n'est pas un robot comme les autres, puisque, jusqu'à cette très belle scène du questionnaire, elle ignorait son identité. Et ces souvenirs implantés les aident à développer une mémoire et des émotions.
Et ces émotions, ces questions que se posent les androïdes sont très humaines. C'est le thème de la mémoire et des souvenirs, la volonté de laisser une trace de soi après la mort, l'acceptation de la mort mais la peur de la disparition, la quête de l'identité, la colère contre le Créateur, etc.
Alors, des êtres qui saignent, qui ont des émotions, qui éprouvent de l'amour, de la colère, de la peur, est-ce que ce sont encore des machines ? Pour Deckard, il n'y a pas de doute. Dans la version de 1982, il se présente en voix off comme un tueur.
Le film déborde alors vers un autre genre, le film noir. Un film où l'enquêteur, ex-flic désabusé, plus ou moins traumatisé par les crimes que son métier a exigés de lui, correspond à merveille aux détectives que l'on pouvait trouver dans les années 40 ou 50. On y retrouve d'ailleurs des lieux similaires : boîtes de nuit, bars, l'appartement du suspect, etc. Des personnages similaires également : le chef de police raciste, la danseuse, la femme fatale.
L'enquête est d'ailleurs remarquablement écrite. Le scénario est très solide et progresse avec une logique imparable.
Et ça ne s'arrête pas là. Dans Blade Runner, on retrouve également de la psychanalyse : le test de Voight-kampf (questionnaire qui vise à reconnaître les androïdes) ressemble énormément à une investigation psychanalytique (réponses les plus rapides possibles, rapports à l'enfance ou à la mère). [SPOIL] Et la scène où Roy tue Tyrrell en l'embrassant joue à fond sur le thème amour-haine et le meurtre du père [FIN DE SPOIL].
A la psychanalyse, il faut ajouter une évidente symbolique religieuse : Roy s'enfonce un clou dans la paume de la main, il est qualifié de "fils prodigue" et tient, à la fin, une colombe dans sa main.
Le rythme est lent et quasiment hypnotique par tout un jeu de lumières qui arrivent en flashs, en éclairs; par la pluie, la lenteur des mouvements de caméra, la musique, la répétition d'images identiques (les allers-retours dans les tunnels qui ponctuent l'oeuvre), etc. Même s'il ne se passe pas grand chose, le spectateur est happé dès la première de ces images magnifiques, par ces plans au-dessus de la ville, par les sons, etc.
A l'inverse de ce qu'il fait actuellement, Ridley Scott, alors, évitait d'impressionner inutilement. Tout le film montre sa volonté de créer un monde complet avec sa population, ses rituels, son histoire. D'où l'insistance des plans sur le paysage urbain, mais aussi sur sa faune, tous ces passants qui traversent l'écran et qui donnent de la profondeur à l'ensemble. On voit que les trucages sont au service de l'histoire, et non l'inverse.
La musique aussi est remarquable (et pourtant, je ne suis pas fan de Vangelis, loin de là). Elle est employée en écho de l'action, comme une réponse à ce qui se déroule à l'écran. Ainsi, quand Roy hurle comme un loup, on entend des cris identiques intégrés dans la partition du compositeur.
Toutes ces qualités sont réunies et poussées à leur paroxysme en une scène finale exceptionnelle et inoubliable.
Film subtil, intelligent, original et passionnant. Véritable chef d'œuvre dont l'esthétique a été copiée de nombreuses fois.