Les lois du marché
Après Taxi Sofia et Rounds, Stephan Komandarev achève sa trilogie de la décadence sociale de la Bulgarie avec Blaga's Lessons, qui a obtenu la récompense suprême au prestigieux festival de Karlovy...
le 12 oct. 2023
3 j'aime
« Blaga’s Lessons » met du temps à s'installer, mais captive tout du long. Porté par Eli Skorcheva, extraordinaire interprète de la septuagénaire Blaga, ce long métrage peut compter sur une certaine maîtrise de la réalisation de la part du cinéaste bulgare Stephan Komandarev. Les prises de vues sont élégantes et réussies, tout en étant naturalistes, dans un souci de réalisme, sans esthétisation malvenue. Komandarev se révèle également un bon directeur d'acteurs, et il possède un vrai sens du rythme, faisant monter la tension lentement mais sûrement.
Là où il pèche un peu, c'est côté scénario. L'idée de base est bonne : Blaga, professeure intègre et pointilleuse à la retraite, se fait arnaquer et perd une somme importante d'argent. Après bien des déconvenues, elle finit par travailler pour ceux qui l'ont arnaquée, afin de se refaire.
A partir de cette trame originale mais néanmoins plausible, Komandarev se révèle parfois maladroit. On se demande plusieurs fois comment un personnage si droit peut renier ses principes aussi rapidement... Mais la fin, particulièrement réussie et cruelle, vient remettre le tout en perspective.
Au-delà d'un portrait de personnage, ce film dépeint la situation de la Bulgarie, pays dévasté, comme tant d'autres, pas le joug communiste, gangrené par la corruption, et dont l'entrée dans l'Union Européenne n'a pas mis fin à tous ses problèmes... La trajectoire finale de Blaga démontre combien des années de dictature puis l'ultra-libéralisme ont détruit la société civile, les Bulgares faisant ce qu'ils peuvent pour survivre, d’un point de vue matériel et moral...
En cela, malgré ses quelques défauts, « Blaga's Lessons » est un film très réussi, terrible car lucide, dressant un portrait sans fard de la Bulgarie d'aujourd'hui. Mais attention, bien des situations représentées ici peuvent se retrouver en France, gardons-nous de donner des leçons, car nous risquons de tomber de haut, comme Blaga...
En effet, le titre du long métrage, qui est identique en anglais et en bulgare, est à double sens : Blaga, professeure de bulgare, enseigne aux autres… Mais elle « apprend » aussi : elle se prend une leçon de vie de façon bien ironique, avec ce qui lui arrive. Et elle qui donnait des leçons aux autres, au sens propre comme figuré, avec son caractère méticuleux et un peu autoritaire, voit sa vie et ses repères s’effondrer. La pauvreté et la corruption peuvent mener à bien des excès, en Bulgarie… comme en France.
Le réalisateur bulgare Stephan Komandarev signe un long métrage à la fois maîtrisé sur la forme et engagé sur le fond, avec beaucoup de courage. Malgré quelques maladresses, « Blaga's Lessons » est donc un film hautement recommandable, puissant, et particulièrement d'actualité, à un mois d'élections européennes qui n'auront peut-être jamais été aussi importantes pour notre continent...
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Films vus au cinéma et Les meilleurs films de 2024
Créée
le 10 mai 2024
Critique lue 199 fois
5 j'aime
D'autres avis sur Blaga's Lessons
Après Taxi Sofia et Rounds, Stephan Komandarev achève sa trilogie de la décadence sociale de la Bulgarie avec Blaga's Lessons, qui a obtenu la récompense suprême au prestigieux festival de Karlovy...
le 12 oct. 2023
3 j'aime
Film très prégnant et révélateur d'une société bulgare rude.Vision très pessimiste de l'humanité dans ce monde capitaliste.Bonne réalisation de ce thriller psychologique.8,5
Par
le 12 mai 2024
Et vaut le coup d’être vu, la fin est un peu dure!
le 11 mai 2024
Du même critique
Manifestement, il ne suffit pas de reprendre l'esthétique d'un maître pour l'égaler. C'est ce que les suiveurs et autres académistes apprennent à leurs dépens depuis la nuit des temps en matière...
le 24 févr. 2018
59 j'aime
12
« Princesse Mononoké » couronne la carrière d'Hayao Miyazaki par bien des aspects. Peut-être son film le plus riche et le plus complexe, c'est également l'un des plus accomplis formellement,...
le 13 août 2016
36 j'aime
10
Vu une première fois, trop jeune, il y a longtemps, j'étais complètement passé à côté de ce film. Je m'étais dit « tout ça pour ça » ?! Je ne comprenais pas le concert de louanges qui entourait ce...
le 19 août 2020
32 j'aime
20