Tout a été dit, et surtout écrit sur Blow Up, un film qui se prête particulièrement à l’analyse et aux visionnages multiples.
Voyage initiatique et presque naturaliste sur le rapport à l’image, il propose un double mouvement, celui de son personnage et celui du spectateur.


Par son thème, la photographie, par le silence, l’insistance et l’étirement des séquences, nous sommes rendus attentifs à la densité des plans, leur construction et leur implicite. Antonioni nous éduque clairement, nous projetant d’emblée dans le milieu ultra stylisé et artificiel de la photo de mode, où le code déborde, pour nous conduire par la suite vers le mystère et l’épure, vers l’invisible. Entre temps, il nous aura donné l’occasion de nous confronter à un panorama des arts visuels : la photographie, la mode, l’architecture, les natures mortes chez l’Antiquaire, le design (l’hélice), l’urbanisme (les différentes facettes de Londres, le parc, bien sûr), le portrait, les happenings, la musique (délicieuse apparition des Yardbirds devant un public statufié de prime abord...)


A chaque fois, cependant, il s’agira de voir différemment : jamais, par exemple, le réalisateur ne nous propose de scruter à travers l’appareil photo de son protagoniste : il ajoute le mouvement et les directives vocales aux shootings avec les mannequins, l’architecture est habitée, les tables d’antiquaires dérangées. La peinture elle-même est commentée, et ce qu’on en dit lui confère un sens nouveau : le peintre affirme qu’une jambe sur la toile n’est apparue que tardivement. Le cinéma donne à voir et bouleverse l’ordre établi.


Le personnage, enfin, que le scénario nomme Thomas, mais dont nous n’entendrons jamais le nom. Thomas, qui ne croit que ce qu’il voit dans le nouveau testament, va, lui, apprendre à faire avec l’invisible, non l’implicite, mais la magie instable d’un réel qui lui échappe. Perdant progressivement le contrôle, il va laisser s’épancher une polysémie qui semblait impossible au départ, entre le reportage sur les prolos et l’alimentaire pour les riches. De l’esthétisme fascinant des débuts (les mannequins devant les panneaux translucides noirs, l’importance des reflets, la beauté des femmes et de leurs habits), on brise peu à peu les codes (le panneau violet, chiffonné par les deux jeunes femmes afin qu’on puisse s’y vautrer) pour se concentrer sur le plan fixe et général duquel sourd un mystère grandissant.


Thomas attend un sens supplémentaire à son travail. L’affaire policière susceptible de s’en dégager est une aubaine trop facile, pour le spectateur comme pour lui. Antonioni, par cette amorce, dote les images d’un sous-texte valable dans les deux sens : il peut aussi bien révéler que retrancher de la signifiance.


Rarement le plan fixe aura eu une telle intensité, une telle intention, un tel pouvoir de suggestion. Au spectateur de décider s’il suit le photographe dans son désir de récit où s’il se laisse emporter par une beauté non verbale, à laquelle se laisse finalement prendre Thomas dans cette superbe partie de tennis sans balle. Poésie du réel, insolite et essentielle, elle achève son parcours et permet l’émergence d’un nouveau sens, le son, dont De Palma fera l’argument de son très bel hommage, Blow Out.

Sergent_Pepper
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le 21 sept. 2013

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Sergent_Pepper

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