David Lynch nous a quitté, trop tôt. C'est toujours trop tôt quand un grand s'en va.

Lynch était un grand très discret, un rêveur, un prophète. Je crois qu'on ne mesure pas encore l'influence de son cinéma, même Bertrand Blier (paix à son âme aussi) se revendique de Lynch, l'adjectif créé à partir de son nom, de son oeuvre en atteste.

J'ai découvert David Lynch avec Dune et Elephant Man, puis j'ai reçu le choc "Mullholland Drive" et "Lost Highway" puis je me suis intéressé à Twin Peaks, ensuite le film "Fire walk with me" et enfin The return. J'ai découvert ses films au compte-gouttes, comme s'il me fallait des années et plusieurs visionnage pour les digérer. Je me suis même octroyé le droit de m'en garder pour plus tard, ainsi, je n'ai toujours pas vu "Sailor et Lula" ni Eraser Head et pas non plus "Une histoire vraie" (ne me jugez pas). Je les ai tous en dvd, en évidence dans ma collection mais je me les garde en réserve.

Blue Velvet est probablement le film de David Lynch le plus accessible en terme d'étrangeté avec Elephant Man et Dune, je conseillerai donc aux néophytes de démarrer par ces trois films avant d'attaquer l'ère post Twin Peaks où il y a un vrai point de bascule. David Lynch étant ensuite tombé dans la Black Lodge, à l'image de son héros Dale Cooper, perdu entre les mondes, les rêves et la réalité.

Pourtant toutes les thématiques sont présente dans Blue Velvet, la bourgade américaine, le rêve, le fantasme, le cauchemar, l'étrange, la perversion du monde, des personnages, la femme ainsi que la musique magnétique mais le déroulement de l'histoire est bien plus classique dans Blue Velvet et le spectateur ne sera jamais perdu. Je reconnais que c'est extrêmement plaisant de suivre un scénario de Lynch aussi limpide, clair mais gardant une part de mystère et de fascination presque macabre.

Lynch est obsédé par le rêve, vivre un rêve ou un cauchemar éveillé, il aime cette idée d'un passage qui mène à un autre monde, un monde suspendu, inquiétant, cauchemardesque.

L'appartement de Dorothy et le club de prostituée est ce monde inquiétant et bizarre où il s'est déroulé les pires atrocités. Frank est le Bob de Blue Velvet, une sorte de gangster complètement allumé, instable, sadique, souffrant d'un profond complexe Œdipien. Il est le maître de ces lieux et les femmes, la femme Dorothy, sont ses victimes. A travers ce personnage et celui de Jeffrey, le héros, Lynch commence déjà à s'interroger sur le Mal qui contamine le monde, ce Mal individuel, universel, sous-jacent comme les insectes grouillants sur les pelouses rutilantes des beaux quartiers américains..

Jeffrey, un adolescent, est à la frontière de ces mondes, celui de sa petite vie rangée avec sa famille et sa (future) petite amie et celui du fantasme, de l'interdit où rôde toute sorte de démons, d'âme en perdition et de fantasmes. Entre les deux une enquête, une oreille coupée, qui servira de prétexte afin de rejoindre ce monde effrayant, duquel il ne sortira pas indemne. Dorothy, une femme plus mûre lié à cette enquête devient l'ange perdue, la femme à la fois "objet" de désir et bafouée, meurtrie par la folie contagieuse de Frank. Filmée avec beaucoup d'empathie, sans jugement, on reconnait encore une fois la patte de Lynch qui aime tellement les femmes et aura consacré sa carrière entière à en parler sans en faire des personnages infaillibles, invulnérables comme il en pleut aujourd'hui dans la fiction.

Un garçon privé du père, en pleine découverte et quête initiatique, une princesse à sauver d'un ogre effrayant, on pourrait très facilement comparer Blue Velvet à un conte. Il en a la structure et l'histoire, le classicisme, mais Lynch sublime cette simplicité de forme et y incorporant tout son univers, toutes ses thématiques. Dialogues nébuleux, musiques magnétiques, personnages ambigus, situations surréalistes, dimension onirique.

Blue Velvet est donc une parfaite entrée en matière à Twin Peaks (et à la filmographie de Lynch) . On y retrouve les marqueurs forts qui feront le succès et l'étrangeté du show TV mais là où dans Twin Peaks et la plupart de ses films (et surtout The return), les personnages et intrigues se perdent dans un tourbillon convoquant à la fois le mystère insondable, l'absurde, la folie et le rapport "rêve-réalité", teinté de pessimisme (ou de réalisme selon), ici dans Blue Velvet, l'intrigue est limpide, les situations parfois surréaliste ne débordent pas du cadre, ne bouleversent pas le fil conducteur du récit. La temporalité n'est pas chamboulée et la bascule dans "l'autre monde" (espace-temps indemne) ne débouche pas sur une perte de nos repaires à toujours vouloir questionner un peu plus l'univers fictionnel et qui apporte plus de questions qu'il ne donne réellement de réponses. C'est un conte lumineux, où malgré tout, le héros sera confronté à ses démons et des démons bien réels et devra emprunter un douloureux (et étrange) chemin vers son évolution et détruire le mal. L'amour ici triomphe, à l'image de ce rouge-gorge présent aussi dans le générique de Twin Peaks, un message presque naïf en soi mais tellement simple et beau (un peu freudien aussi). C'était avant que David Lynch ne sombre dans la Black Lodge dont il ne sortira jamais vraiment.

Je m'aperçois aussi que je n'ai pas évoqué le personnage de Sandy de toute la critique, peut être la déception du métrage car même si Laura Dern se donne à fond malgré son jeune âge, le personnage est toujours plus ou moins isolé du récit, elle n'est jamais totalement impliquée dans la descente aux enfers du héros Jeffrey. Elle est une sorte de bouée de sauvetage qui rattache Jeffrey au monde réel et au Bien, c'est elle qui rêve du rouge-gorge. Le seul intérêt du personnage réside dans sa dualité avec Dorothy, étant en somme deux facettes de la féminité.


uther
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le 23 janv. 2025

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le 23 janv. 2025

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