Premier long métrage original de Guitry, Bonne Chance contient toute la fantaisie singulière qu’il va développer par la suite. La thématique de la chance qui nourrit le récit est en pleine adéquation avec le ton donné à la comédie : l’illustration d’une forme de magie propre à la fiction, où tout est possible, où les amants rivalisent d’intelligence et les personnages s’échinent à faire de la vie de l’autre une surprise continue. Ce désir de divertir l’autre et de lui plaire est donc le miroir fidèle de l’attitude de Guitry à l’égard de son spectateur, qu’il se réjouit d’abreuver de son esprit, de ses traits et d’un regard détaché sur le monde. Hors de question, évidemment, de prendre celui-ci au sérieux : « si on prenait la loi au sérieux, la vie serait rapidement invivable ». Il en ira de même pour les conventions d’écriture, les personnages expliquant ainsi comme filmer depuis une voiture, et le fait de recourir à la post-synchronisation pour les voix.
Mais le flegme et l’intelligence ne suffisent pas pour distiller la saveur ici présente. Bonne chance est aussi l’occasion d’un duo de comédiens entre Guitry et Jacqueline Delubac, alors mariés à la ville. Sur un pied d’égalité en termes de charme et de répartie, le couple rivalise d’ingéniosité dans un plaisir pétillant et communicatif, au fil d’un parcours qui leur permet d’assouvir toutes leurs fantaisies, puisqu’il s’agit de dépenser une somme colossale au fil d’un tour du monde à l’issue duquel la demoiselle est censée épouse un terne prétendant.
Sur cette amusante odyssée où tout n’est que divertissement (voir, à ce titre, la délicieuse séquence du restaurant où le serveur se joint au duo pour un véritable ping pong de vannes) se greffe ainsi l’inévitable ambiguïté amoureuse, le spectateur sachant très bien quelle sera l’issue du voyage. Reste à savoir comment, et c’est là que le goût pour la surprise des protagonistes va multiplier les détours et les dilatations. Très rodé à l’exercice, Guitry multiplie les allusions sexuelles sans jamais chuter, et se pose comme un concurrent à la française au génie Lubitsch dans ses comédies du Pré-Code : tout est transparent, mais avec un art du discours qui rend la grivoiserie encore plus raffinée et plaisante. La provocation ira jusqu’à jouer d’une ambiguïté assez audacieuse, puisque le protagoniste adopte en secret la jeune fille qu’il souhaite plus tard conquérir, se retrouvant dans une impasse administrative aussi culottée qu’embarrassante.
Cette chance, comédie oblige, sera récompensée dans un final on ne peut plus joyeux. Mais en montrant comme la brève séparation du couple entraîne la fin de l’alchimie, Guitry a défini un élément qui dépasse les enjeux de son seul récit : une façon de rendre hommage à sa partenaire, sans laquelle le charme éclatant de cette romance n’aurait jamais pu advenir.