Deuxième long métrage mais véritable point de départ de la filmographie de PTA, Boogie Nights est peut-être le film qui s'accorde le mieux avec la manière de filmer si personnelle qu'a le cinéaste. Cette sorte d'incapacité à faire des plans fixes, cette volonté d'épater la galerie avec des mouvements de caméra audacieux mais un peu vides de signification, cette liberté formelle accompagne très bien, pour une fois, le sujet traité.
Boogie Nights est donc la version longue du court-métrage The Dirk Diggers Story que PTA avait réalisé quasiment 10 ans plus tôt, en 1988.
Le film s'articule autour de trois scènes qui se déroulent dans la villa de Jack Horner (Burt Reynolds, impeccable), réalisateur de films pornographiques de la fin des années 70 et du début des années 80. Si la pornographie tient une place importante, surtout dans la première partie, il ne faut pas s'y tromper, ce n'est pas le sujet principal du film. Tout juste une illustration de ce que PTA veut nous montrer : le brutal changement des mœurs des années Reagan, avec un durcissement moral qui mettra fin aux époques de libertés sexuelles et de drogues à tire-larigot.
Pour illustrer cela, PTA divise donc son film en trois parties autour de ces trois scènes qui se répondent par toute une série de détails et de thèmes. La première scène de fête dans la villa ouvre réellement le film, après une introduction qui visait uniquement à présenter le personnage d'Eddie (Wahlberg vraiment surprenant, une fois de plus). C'est le début de la première partie, celle qui se déroulera de 77 à fin 79. La reconstitution est éblouissante : PTA nous plonge littéralement dans cette époque. Les vêtements, les coiffures, la musique, les décors, les night clubs, une scène de danse disco, tout est génial. Et la réalisation immersive n'a plus qu'à se déployer pour nous entraîner de façon irrésistible dans cette chronique sociale, cinématographique et psychologique.
Mais la reconstitution ne se suffit pas à elle-même, et le réalisateur le sait bien. Tableau d'une époque insouciante, Boogie Nights ne se contente pas de nous dire que tout était superbe à cette époque. La liberté sexuelle aboutit au drame de Little Bill (William H. Macy, toujours génial), situation qui commence comme un running gag avant de mal tourner. La force de Boogie Nights est de constater cette évolution morale sans la juger. PTA ne cherche pas à faire un simple film nostalgique, loin de là.
La deuxième scène dans la villa de Jack se situe pile au milieu du film. Elle est centrale aussi bien dans la durée du métrage que dans sa chronologie et dans son ambiance. C'est une scène de passage, de transition : passage d'une année à l'autre, d'une décennie à l'autre, d'une époque à une autre. Et d'une atmosphère à une autre. C'est une scène où on sent clairement que quelque chose finit, se clôt de façon irrémédiable. Débute alors la seconde partie du film.
Constamment, dans Boogie Nights, on sent l'influence de Scorsese. Certes, le film est bien moins génial que ce que l'Italo-Américain aurait pu faire (si tant est que le cinéaste, si emprunt de religion, ait pu faire un film sur un tel sujet). Mais il y a une influence revendiquée de Scorsese aussi bien dans la façon de filmer que dans l'organisation du film en deux époque : ascension et chute (l'épilogue, avec le formidable Alfred Molina en roues libres, confirme encore cet arrière-goût scorsesien).
Tout cela aboutit à la dernière scène dans al villa, celle qui, réellement, clôt le film. Un long plan séquence (le cinéaste aime bien ces plans) où l'on suit Jack dans sa maison. Une maison qui, auparavant, était le lieu de tous les excès, et où maintenant tout est calme, rangé, bien propre et bien gentil. Un Jack qui s'inquiète de savoir si le bébé fera pipi dans la piscine. Comparer cette scène à celle du début montre bien les transformations vécues pendant ces quelques années.
Boogie Nights est le premier vrai film de PTA, dans le sens que tout ce qui caractérise son cinéma est présent là pour la première fois : casting d'habitués (Luis Guzman, Willaim H. Macy, Julianne Moore, Philip Seymour Hoffman, John C. Reilly, etc.), plans virevoltants, etc.
Et surtout, sa façon de traiter les personnages est celle que l'on retrouvera dans ses films suivants, que ce soit Magnolia, Punch-Drunk Love, et d'autres encore. Les personnages de Boogie Nights sont des êtres à la recherche de reconnaissance. L'impression de former une communauté est un trompe-l’œil : chaque personnage est seul avec ses fêlures. Amber cherche un fils de substitution (oui, bon, d'accord, une drôle de façon de chercher un fils que de coucher avec son fils de substitution). Eddie cherche une réussite sociale qu'il voit comme une reconnaissance et qu'il pourrait renvoyer à la figure de sa mère. Jack veut être reconnu comme un grand cinéaste, et pas seulement un vulgaire réalisateur de films porno.
L'ensemble constitue un très bon film, foisonnant, parfois drôle, souvent dramatique, très bien vu aussi bien pour sa reconstitution, sa construction scénaristique que la psychologie de ses personnages.
[7,5]