Les conséquences de la fermeture des aciéries à Braddock, ville de Pennsylvanie dans le Nord Est des États-Unis, servent de cadre et de fil rouge à ce documentaire réalisé par Jean-Loïc Portron, qui a jusqu’à présent essentiellement travaillé pour la télévision, et Gabriella Kessler dont c’est la première participation à un long-métrage. Cette ville concentra en quelques kilomètres carrés le fleuron des industries sidérurgiques et participa grandement par la production d’acier à l’essor du pays, des rails du chemin de fer des pionniers aux poutrelles des gratte-ciels new-yorkais. Depuis la mondialisation est passée par là, entrainant la délocalisation et l’arrêt des sites industriels, plongeant des milliers de gens dans le chômage et la misère, faute de pouvoir retrouver un job.
Jim Jarmusch montrait il y a quelques semaines les rues désertées de Detroit, ravagée par la crise de l’industrie automobile. La vision diurne, certes moins esthétique, mais sans doute plus brutale, de Braddock qui fut pourtant un chouette coin suffit amplement à mesurer les effets dévastateurs d’une économie locale privée de sa principale ressource : maisons à l’abandon, dégradation des équipements collectifs, fermeture des commerces, exil de la population. Néanmoins, le film donne largement l’impression de ne pas traiter son sujet ou encore de multiplier les angles de vues qui sont davantage une photographie sociologique qu’une analyse ou mise en perspective. De trop nombreuses images d’archives en noir et blanc rappellent des temps révolus et franchement nostalgiques d’une époque bénie de la prospérité qui était pourtant synonyme de conditions de travail pénibles sans même parler des problématiques environnementales et sanitaires. Les anciens ouvriers à la larme facile, s’ils apparaissent bien comme les victimes abandonnées du système capitaliste auquel ils omettent de rappeler qu’ils ont aussi contribué, peu préoccupés dès lors de la situation économique de ceux qui allaient devenir leurs concurrents (les Chinois et les Indiens), déplorent la perte de leur emploi, mais surtout de ne pas avoir pu en reprendre un.
Braddock, où il semble d’après les témoignages que c’est d’abord la communauté noire qui est la plus impactée, présente pour nous des étranges similitudes avec les anciens bastions lorrains de la sidérurgie. Un même sentiment de désespoir et de misère sur lequel prospèrent les nouveaux négriers qui se font fort de donner conseil à des chômeurs sans se préoccuper évidemment du marasme du marché de l’emploi local. On n’épiloguera pas sur le choix du chômeur en question : un jeune Noir qui a fait de la prison, n’a aucun diplôme et peu d’expériences. Mais cet exemple suffit à illustrer le malaise et l’agacement provoqués par un documentaire qui s’éparpille et ne fournit aucune clef. Certaines séquences apparaissent même hors sujet, voire grotesques comme la réunion du conseil municipal statuant sur les mesures à adopter contre les chiens méchants. Comme si les deux réalisateurs étaient à court d’idées ou d’images, empilant des vues de friches industrielles entrecoupées de témoignages laborieux et inintéressants.
Enfin on est en droit de s’interroger sur le besoin qu’ont ressenti Jean-Loïc Portron et Gabriella Kessler de traverser l’Atlantique pour examiner un processus largement globalisé dont on connait également les effets sur le territoire national. Ou mieux encore, il eût été judicieux de mettre en parallèle les conséquences sociales et économiques d’un phénomène identique de part et d’autre de l’océan et de tenter de comprendre pourquoi l’exemple de Braddock est aussi terrifiant et désespérant. Au final, ceux qui s’intéressent de près ou de loin à la chose économique et sociale n’apprendront guère avec ce film décousu qui ne parvient qu’à enfoncer des portes déjà ouvertes depuis longtemps.