Décadence du système judiciaire américain

C'est un film important, méconnu, sur une affaire tout aussi inconnue, du moins en Europe.
Commençons par le début : le film ne fait aucune ambiguïté dès le début, le film n'est pas là pour ça. Et le film est là pour une chose, une seule : montrer pourquoi une erreur judiciaire est possible, et à cause de qui. Et c'est là où le film est bon. Parce que voyant le sujet, on aurait pu le voir venir, ce film, et de loin. Oh oui, ce film aurait pu être le porte étendard de tout un pan anti-féministe, anti #MeToo, car il est le parfait exemple d'un jeune homme, Brian Banks, bon gars sous tout rapport, pieux, qui à 16 ans était promis à une carrière toute tracée dans la NFL (le plus haut niveau de football américain, sport national aux US). Mais le voilà à 16 ans accusé d'un viol qu'il n'a pas commis. Jeune homme afro-américain de famille modeste, il a un mauvais avocat qui ne jouera pas la défense mais le trompe sur un accord (sûrement pour ne pas perdre), le faisant emprisonner 5 ans, et marquer sur le registre des délinquants sexuels pour le restant de ses jours. Comprendre : tout potentiel employeur voir forcément la mention "agresseur sexuel" sur son CV. Dès lors le début du film pose un regard social, sur la difficulté du marché de l'emploi, la condamnation à la précarité. De même, Brian ne peut plus approcher d'écoles ou de parcs, etc. Le tout pour une fille de 15 ans qui l'accuse de viol du fait d'une déception amoureuse, parce-que justement il ne s'était rien passé. Ce film avait tout du "regardez, ça mène ici #MeToo, on pourra mettre en prison des innocents sur une simple déclaration".


Oui mais ce film est bien plus intelligent que cela. Car ce que nous dit le film, c'est qu'il s'en fiche que la fille ait menti. D'ailleurs, plusieurs scènes sont construites pour montrer qu'elle ne savait pas ce qu'elle faisait, qu'elle était embourbée dans son premier mensonge puis influencée par une mère vénale (est-ce la vérité en réalité ? On ne sait pas, mais du moins le film le construit de cette façon), une fille rongée par le remord. L'important, ce serait que même en cas de fausse accusation, le système judiciaire soit assez juste pour pouvoir se défendre. En effet, le mot "système", on l'entendra beaucoup dans ce film. C'est la faute du système. Flash-back sur le procès : on voit déjà le biais du système de jurés qui condamne toujours sur critères ethniques au XXIe siècle, ou que du moins c'est une donnée avec laquelle il faut composer. On voit que le système pour faire appel est laborieux, qu'il change d'un état à l'autre, qu'il n'est pas à la portée des citoyens. Car il ne faut pas se tromper de cible dans ce film : le problème ce n'est pas que la fille ait accusé de viol Brian pour se venger, le problème c'est que le système judiciaire ne lui ait pas permis de se défendre, ni en première instance, ni en appel, ni devant la Court Suprême de Californie. Le film se permet aussi d'envoyer des courts signaux, sur la violence en prison, sur la violence physique et symbolique terrible de l'arrestation de Brian.


Alors certes, au delà du sujet, le film est de facture classique. Certains montages (durant le rassemblement de preuves au milieu du film notamment..) son mauvais, avec une musique banale. Il y a tout un passage avec des effets éculés sur l'isolement en prison. Mais là n'est presque pas le sujet, et il est aussi bien que la technique se cache derrière un sujet aussi dramatique, et derrière la finesse du propos, qui ici me semble plutôt réussie. On en ressort effondré pour Brian Banks, devant ce qu'il a raté à cause de tout cela. Mais avec le même soulagement qu'après le visionnage du film d'Eastwood, Le cas Richard Jewell, qui a une structure narrative de l'affaire judiciaire plutôt proche. Et surtout, on se dit que le zèle à la règle doit être abandonné une bonne fois pour toute, et que l'on doit aller vers plus de flexibilité pour ce type d'affaire, au cas par cas, comme le réclame l'avocat de Banks dans sa plaidoirie finale.

LeTestard
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le 24 nov. 2021

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