On aura rarement autant flippé devant un film traitant de la paranoïa. Friedkin nous embarque dans les profondeurs de la folie. Le décor est outrancièrement minimaliste : une chambre de motel. Le casting se limite à un duo d'acteurs aussi hallucinants qu'hallucinés, Ashley Judd et Michael Shannon, autour desquels viennent graviter ponctuellement quelques rares personnages secondaires. L'intrigue installe le spectateur dans une ambiance molle, léthargique, dans une chaleur moite. Peter, un type un peu bizarre, prétendant être la victime d'un complot gouvernemental, débarque dans la chambre d'Agnès, une jeune paumée, il la séduit et finit par coucher avec elle. La fin de leurs ébats coïncide avec une invasion d'insectes invisibles (on en verra pas un seul de tout le film), qui va prendre des proportions cauchemardesques. Croyant être la source du mal, Peter sombre peu à peu dans un délire paranoïaque de mutilation, emportant Agnès dans son sillage.
Mais s'agit-il vraiment de paranoïa, de folie ? Les insectes que Peter sent grouiller sous sa peau sont-ils réels ou fantasmés ? Le réalisateur de L'Exorciste ne donne aucune réponse. Il fait triompher le doute, renouant d'une façon primitive et pourtant novatrice avec les codes du cinéma fantastique le plus pur. Quelques explosions sanglantes viennent ponctuer un cauchemar où la tension grandit de minutes en minutes jusqu'à l'insoutenable. Un arrachage de dent maison, un meurtre sauvage, et l'angoisse devient terreur. Dans un style extrêmement cru, Friedkin nous confronte à nos peurs les plus primaires. La somme de toutes nos peurs. Car derrière le film d'horreur, il y a l'autopsie froide et lucide de la mentalité américaine traumatisée par le 11 septembre, le communisme des années 50. On voit d'abord l'autre comme un ennemi, un parasite qui ne cherche qu'à nous bouffer de l'intérieur. Ou comment la paranoïa déforme toute forme de jugement et endort la raison. A l'image de cette scène, la plus flippante de toutes, où Ashley Judd débite en un long plan-séquence, un flot frénétique de déductions dictées par sa folie, faisant coïncider par un miracle atroce les événements les plus noirs de sa vie avec le plus fumeux, le plus improbable des complots. Une métaphore effrayante de la manipulation des cerveaux. Un grand film sur de grands malades.