Elle s'appelle Chiara. Elle a une vingtaine d'années et, à l'ouverture du film, elle vient en couple pour louer un grand appartement. Elle est employée dans une bibliothèque. Elle s'habille à la garçonne, cheveux courts, et sans prendre grand soin de son apparence. Et, accessoirement, dans l'appartement qu'elle vient de louer, elle cache Aldo Moro, qui vient d'être enlevé par les Brigades Rouges.
On sait à quel point l'enlèvement et l'exécution de l'ancien président du conseil italien fut un traumatisme bien au-delà des frontières de la péninsule. La première intelligence de ce film, c'est de ne pas en faire un mélodrame ni de surjouer sur les émotions. Pas de manichéisme non plus. En fait, la personnalité d'Aldo Moro, dont on suivra toute la détention, est presque secondaire.
Il est ici question d'engagement. Et des illusions politiques. Chiara s'est engagée dans cette entreprise par véritable passion politique. Tout en elle fleure bon le communisme extrême. Elle a été abreuvée des images de Lénine et de Staline. Pour elle, la société idéale, c'est celle de la dictature du prolétariat et du Petit Père des peuples. Bellochio, avec subtilité, insère des images de propagande soviétique dans sa narration. Ce sont ces images qui dirigent les pensées de Chiara.
Alors, elle fait ce qu'on lui dit. Seule au milieu de trois hommes, elle fait semblant d'être mariée (voir le rituel de mettre une fausse alliance chaque fois qu'elle sort de l'appartement et de l'enlever dès qu'elle rentre) mais ne vit avec aucun d'eux, car on lui a dit que le couple, c'est bourgeois. Pourtant, son regard s'attarde sur une mariée et on devine l'envie de bébé... Ses idéologies politiques étouffent sa vie, mais l'étouffent de plus en plus mal.
Car elle va être en désaccord avec ses camarades quand ils décideront d'exécuter Aldo Moro. Est-ce cela la lutte finale ? Les avenirs radieux commencent-ils dans les bains de sang ?
La rencontre avec un collègue à la bibliothèque va également renforcer son doute. Elle pourrait l'aimer, mais c'est contraire à la ligne de la cellule.
Et puis, il y a Aldo Moro. Son intelligence, sa gentillesse, son courage vont la séduire. Pour éviter cette empathie, les camarades de Chiara appellent constamment Moro Le Président, pour le réduire à sa fonction politique et lui ôter toute humanité. En vain.
Très beau film, au rythme lent, Buongiorno notte évite les pièges des films politiques. Ce film sur la chute d'un idéal fait penser à La vie des autres. le cinéaste ne s'engage pas lui-même, il questionne l'engagement de son personnage. Que signifie être engagé ? Jusqu'où peut aller l'engagement ? La politique justifie-t-elle tout ? Bellochio a très bien su représenter le bouillonnement politique de l'Italie des années 70.

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le 29 mai 2012

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SanFelice

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