Habitué du Festival de Cannes, Lee Chang Dong revient sur la Croisette avec Burning, œuvre qui adapte Les Granges brûlées du Japonais Haruki Murakami. Long et faisant parler les non-dits, Burning tisse tout de même sa toile magnétique grâce à la fluidité d’une mise en scène souveraine qui accompagne avec grâce des personnages sur la brèche.
Jongsu est un travailleur à la sauvette, passant de job en job mais qui a dans l’idée d’écrire un roman alors qu’il vient tout juste de déménager à la campagne. Un jour, il revoit Haemi, une fille qui habitait jadis dans le même quartier. Ils commencent à parler, à discuter de choses et d’autres, puis se mettent ensemble. Lee Chang Dong débute son film calmement, dans une romance qui empile les scènes d’exposition jusqu’à n’en plus finir. C’est beau, d’un naturaliste cotonneux, notamment tout ce discours de Haemi sur les « Great Hunger » et sa volonté de lumière mais Burning s’éparpille dans ses divagations quasi documentaristes.
Jusqu’au jour où elle part au Kenya. A son retour, elle est accompagnée de Ben, jeune, riche et ténébreux, qui prendra une grande place dans la vie d’Haemi. A ce moment-là, Burning met de la confusion dans l’esprit de Jongsu car il devient jaloux de Ben. Ce dernier est en très peu de temps devenu le catalyseur de tous les espoirs et les rêves de grandeur de Haemi.
C’est alors une possibilité pour Lee Chang Dong d’acérer sa vision mortifère et fébrile d’une Corée du Sud paranoïaque qui se divise par un clivage social certain. Parfaitement sibyllin dans sa narration, d’une extrême légèreté dans sa mise en forme, Burning voit cette jeunesse prolétaire phagocytée et jugée pour la responsabilité et les conséquences de leurs actes pendant que la jeunesse clinquante et riche qui n’aspire qu’à s’amuser, sévit en en toute impunité.
Cependant, le film parait très, trop, didactique dans sa manière d’amener le clivage social, trop schématique pour donner de l’épaisseur à ses personnages. Et pourtant, les scènes restent en tête, les moments de bravoures sont intimistes, et l’immersion sensitive se fait palpable : comme ce moment où Haemi, de nouveau, simule une danse africaine devant tout un parterre gêné de jeunes riches rigolards. L’intensité et le sentiment de perdition se mettent alors à devenir asphyxiants. On assiste, à travers Haemi, à ce miroir fabuleux d’une classe moyenne fatiguée de sa condition et qui pourrait tout faire pour se sortir du guêpier de l'errance: la fluidité de la mise en image du récit est la force du film.
C’est là où Burning touche du doigt parfois les sommets : une hypnose sur les prémices d’une révélation, la seule existence de « non-dits ». On assiste à une œuvre qui change de forme sans jamais changer de reflet, et qui nous amène là où on ne pensait pas qu’elle pourrait nous amener : Jongsu, pris par la peur du vide, court vers le vertige de la vérité. D’une romance un peu longuette même si touchante par sa sincérité, Lee Chang Dong met en perspective trois portraits émouvants de justesse pour finir sur les pas d’un thriller assez magnétique. Burning est donc un cas de conscience que seul Cannes peut nous offrir : malgré sa longueur, ses redondances scénaristiques, un étirement évident et un peu vain, son début balbutiant, le film reste à n’en pas douter un grand moment de ce Festival.
Portée par une fluidité immaculée, Burning éclabousse la croisette de son talent avec sa poésie lunaire, ses portraits insidieux et sa mise en scène immersive comme en témoigne cette tension dans les courses effrénées de Jongsu entre les serres, ce calme angoissant dans les regards errants de Ben ou cette frénésie dans les danses incantatoires et hypnotiques de la jeune Haemi.
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