Burning, c'est du cinéma, une oeuvre d'art, ça n'est pas la réalité. Donc ça ne sert à rien de chercher à dissiper le mystère de telle ou telle chose restant non-dite ou non claire après que les dernières images ont disparu de l'écran ; ça ne sert à rien puisque c'est un film fictif qui n'a d'autre existence que les images et la bande-son dont il est composé.
Il n'empêche qu'après la projection, on continue quand même de s'interroger ("Pourquoi ceci...?", "et si cela...?"). L'histoire continue de nous hanter. Lee Chang-Dong réussit si bien à nous y faire croire, à nous faire croire à ses personnages, à la vie qu'ils mènent, au monde dans lequel ils vivent, qu'il est difficile ensuite de ne pas y retourner par la pensée (à moins d'être passé complètement à côté du film).
La Corée que nous raconte Burning existe. Un Occidental, d'ailleurs, n'y est pas dépaysé.
Ce jeune homme (Jong-su) timide et pauvre qui, pour vivre, exerce un job de livreur à mi-temps avec l'espoir de devenir écrivain (puisqu'il a fait des études de "création littéraire") et qui dit détester son père, fermier ruiné, orgueilleux et colérique que sa mère a quitté (et lui avec) à cause de ses explosions de violence, ce pourrait être vous ou moi.
Cette jeune fille (Hae-mi) qui fait de l'animation d'événements commerciaux parce que ça lui permet de rester indépendante et qui parallèlement prend des cours de pantomime parce qu'elle pense que cela facilitera sa future carrière d'actrice, qui vit dans un petit studio sans soleil ou presque (coupée de toute famille mais avec un chat qui se planque quand elle reçoit) et qui a économisé sou à sou un grand voyage en Afrique, avec l'espoir d'y rencontrer, qui sait?, un beau mec friqué et sensible à son charme, qui la sortira miraculeusement de sa petite vie mesquine et laborieuse, est-ce qu'on n'en croise pas de semblables, tous les weekends, dans les boites ou à la terrasse des cafés de toutes les capitales ou grandes agglomérations européennes ?
Quant à cette sorte de "Gatsby le magnifique" (Ben), propre sur lui, beau, riche, s'offrant des voyages à l'étranger et une Porsche Carrera, vivant de revenus mystérieux, poli, trop poli et cachant (derrière ses sourires, son épicurisme affiché, sa façade rassurante d'homme né dans les beaux quartiers et appartenant à la haute) quoi ? le mépris des petites gens qu'on utilise pour satisfaire ses plaisirs et qu'on jette ensuite comme des kleenex ou... pire, ça OK, ça fait davantage personnage de cinéma mais bon, en Corée du Sud, ça doit probablement se rencontrer, comme en Floride, sur la Côte d'Azur ou la Riviera.
Film à trois personnages principaux, Burning met en scène une sorte de trio amoureux. Une jolie fille (Hae-mi) hésite entre deux mecs : l'un pauvre (Jong-su) qu'elle connaît depuis l'enfance et avec qui elle a couché au moins une fois, l'autre riche (Ben) qu'elle vient de rencontrer à l'aéroport de Nairobi (Kenya), alors qu'ils attendaient l'un et l'autre l'avion à destination de Séoul. Sans surprise, Hae-mi opte pour le riche : Ben (sa Porsche et tout ce qui va avec) et Jong-su se fait une raison. Mais à la suite d'une soirée passée à trois dans sa ferme (ou plutôt celle de son père qui vient d'être emprisonné pour avoir balancé une chaise sur un officier de police et l'avoir légèrement blessé), Hae-mi disparaît.
Jong-su cherche à la joindre par téléphone, puis de toutes les façons. Ben ne sait pas ce qu'elle est devenue ("elle s'est évaporée comme la fumée" dit-il). Et Jong-su, qui est, en fait, amoureux fou de Hae-mi, va enquêter et filer Ben qu'il soupçonne de plus en plus.
Burning est un thriller. À Cannes, où il était en compète ce printemps, on le présentait comme un "thriller sentimental". C'est un thriller qui prend son temps, qui installe lentement la vie en Corée, le mystère du quotidien et qui, au fil des quarts d'heure, finit par nous captiver. C'est un film d'une mystérieuse banalité, plein de silences et de non-dits avec, pour interpréter le triangle amoureux, trois beaux et bons acteurs, une belle photographie suscitant ou capturant des instants de pure poésie, une bande-son discrète et suggestive (dont, clin d'oeil à la Nouvelle Vague française, un extrait de la BO d'Ascenseur pour échafaud avec Miles Davis à la trompette).
Certaines scènes sont absolument magnifiques, notamment celle où l'on voit Hae-mi danser poitrine nue pour "ses" deux hommes et, bien sûr, les toutes dernières, quasiment sans paroles, qui se succèdent sans transition, mystérieusement, presque brutalement, pour atteindre le pic émotionnel du dernier plan-séquence de toute beauté et à couper le souffle (Steven Yeun / Ben y est étonnant de réalisme).
Allez ! Au diable l'avarice : "9" pour "tout près du chef d'oeuvre".
"Burning" ou l'incendiaire incendié... d'où mon titre.