Méfiez-vous des apparences car ce film n'est que faux-semblants, détours et croisements. Pourtant, la trame se suit aisément tout en perdant intelligemment son spectateur.
(Spoiler alert sur l'entièreté de ma critique.)
On suit le parcours et la psyché de Jong-Soo, un jeune homme qui aspire à devenir écrivain sans pourtant savoir quoi écrire. En effet, sa vie, marquée par la ruralité, les petits boulots, la délinquance de son père et le vide, ne semble guère lui être une source d'inspiration suffisante. Un déclic semble s'opérer lorsqu'il croise la route d'une jeune femme, une ancienne connaissance, au nom d'Hae-Mi. Elle est volatile et rêveuse quand elle ne s'endort pas et apparait comme une sorte de bouffée d'air frais car elle est spontanée et aventurière. Leur histoire d'amour à peine consommée, la voilà partie pour un voyage au Kenya. En se languissant de son absence, Jong-Soo se retrouve à devoir nourrir son chat, aussi absent que sa propriétaire. Seulement voilà, quand elle revient, elle n'est plus seule et s'est entichée d'un mystérieux individu, Ben. Bon film, je vois où tu veux en venir. Le triangle amoureux est mis en place et je sais pour qui tu veux que mon cœur penche. Je vois bien que Jung-Soo est amoureux et je suis moi aussi intriguée par Hae-Mi, qui veut devenir actrice et prend des cours de pantomime. Elle imagine la présence de son chat (ou pas) comme elle imagine manger une succulente mandarine et son caractère fantasque a tout pour plaire et fait qu'on a envie de graviter autour d'elle. Ben aussi et c'est compréhensible.
Ben aussi est un personnage intriguant. Il est riche mais on ne sait pas de quoi, a la nonchalance décontractée et arrogante américaine mais dénote dans un paysage coréen dont il parle pourtant la langue. Il représente au moins tout autant un ailleurs pour Hae-Mi que celle-ci pour Jung-Soo mais quelque chose cloche. Ben s'ennuie allégrement au volant de sa voiture de luxe et bâille devant un repas partagé avec des amis. Il s'ennuie au point même de considérer que son seul vrai travail est celui de l'amusement. Malgré son caractère intrigant et volatile, on arrive sans mal à imaginer ce que ce dernier voit en la compagnie de Jung-Soo et Hae-mi : une bouffée d'air frais, une possibilité d'enfin se sentir exister. C'est bien cela que Ben recherche et c'est pour ça qu'il ne peut résister à son plus grand passe-temps qu'il admet facilement : brûler des serres. L'envie le démange une fois tous les mois et il avoue à Jung-Soo que sa prochaine cible est plus proche qu'il n'y paraît. La tension est là et le triangle amoureux se transforme en vrai thriller. Bon film, je ne suis pas sûre de saisir où tu veux en venir. Ok, le Ben est carrément déprimé et ce au moins tout autant que Jung-Soo, ce qui ne laisse qu'une seule personne hors de l'équation : Hae-Mi. Un couple à trois ne fonctionnant pas, je comprends qu'elle disparaisse à juste un tiers du film. Existait-elle même vraiment ou était-elle juste un figment de mon imagination aussi invisible que son chat ? Avait-elle même un but sinon souligner aux deux autres personnages leur manque de connection, leur manque de sens ? Oui mais alors pourquoi tu me fais douter autant de Ben, personnage aussi insaisissable qu’elle ? Ta métaphore, je l’ai saisie. On sait que Ben brûle ces serres impunément car la police s’en fiche éperdument donc on en déduit facilement que le bonhomme pourrait très bien être accro au meurtre. Ça marche comme interprétation mais j’ai un doute. Ah je sais film, tu fais ça pour faire un commentaire sur la lutte des classes en opérant un contraste saisissant entre la recherche désespérée de Jung-Soo dans la compagne coréenne face au stoïcisme impassible et éhonté à la Gatsby de Ben. Ça fait sens mais donc c'est l'un ou l'autre, film?
On assiste à une troisième partie de film en tension permanente tant on aimerait la résolution à nos questions mais celle-ci ne vient jamais et ce jusqu’au clap de fin. La recherche désespérée de Jung-Soo en devient désespérante tant le spectateur ne sait pas sur quel pied danser ou à quel Saint se vouer. On en vient même à tout remettre en question à l'image de la scène où on voit Jung-Soo écrire enfin. D'où tient-il son inspiration, hein ? Tout était-il l'œuvre de son subconscient ? Après tout, les personnages de Hae-Mi et Ben sont tout aussi fantasques et énigmatiques l'un que l'autre. On ignore d'où ils viennent vraiment et ce qui les motivent véritablement. Ils pourraient ainsi dire être l'œuvre originale d'un être solitaire en quête de sens et aux penchants impulsifs comme Jung-Soo. Ils pourraient être son échappatoire tant rêvée.
NB: Les interprétations sont foisonnantes et le film mérite d’être visionné plusieurs fois rien que pour cela. Il le mérite aussi pour le génie visuel d'un Lee Chang-dong aussi onirique qu'oppressant. Si le film tient en haleine, c’est aussi parce que l’interprétation de ses comédiens est superbe. Mention spéciale pour un Steven Yeun en pleine forme et dont le talent tient en un bâillement et un rictus maladroit ou dérangeant, c'est selon.
L'auteur de cette critique en redemande et va de ce pas regarder Burning une seconde fois.