Le gouffre aux vipères
On ne saluera jamais assez le mérite des Festivals dans leur rôle de prescripteurs : grâce à eux – et ici en l’occurrence, celui de Cannes, le monde entier est rendu attentif à la production...
le 5 mai 2023
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On ne saluera jamais assez le mérite des Festivals dans leur rôle de prescripteurs : grâce à eux – et ici en l’occurrence, celui de Cannes, le monde entier est rendu attentif à la production mondiale, élargit ses horizons, voit naître des talents ou soutient la carrière de cinéastes en mal de distributeurs ou de reconnaissance.
On n’a donc tout sauf envie de dire du mal de ce quatrième opus d’Emin Alper (auparavant défendu par Venise et Berlin), cinéaste turc évoquant un problème bientôt global, à savoir celui de l’alimentation en eau. D’autant que le réalisateur ne manque pas de talent lorsqu’il met en place son intrigue, voyant débarquer un procureur fraîchement nommé dans un village d’Anatolie où l’on va s’empresser de lui faire comprendre que la tradition du populisme, de la corruption et de la vue à court terme a bien l’intention de perdurer. La séquence d’ouverture sur le défilé des chasseurs dans la ville, acclamés par la foule masculine, instaure un climat pesant qu’on retrouvera dans quelques échanges glaçants qui renvoient à l’intensité qu’on pouvait trouver dans le récent As Bestas. Cette confrontation entre les ruraux et la figure de la loi, revisitant les codes du western, évoque ainsi une sorte de régression de la civilisation à l’heure du désastre écologique symbolisé par les dolines, ces érosions brutales qui creusent des gouffres dans le paysage.
Malheureusement, le scénariste estime incontournables tous les codes du thriller pour mener à bien sa démonstration, et étire sur un film bien trop long (2h10, avec un bonne demie heure de trop) l’équivalent d’une saison entière d’une série, où l’on exploitera l’amnésie, le viol, l’homosexualité, les complots, les émeutes ou encore le pouvoir de la presse. Le personnage, après une nuit agitée où il a probablement été drogué, navigue entre hallucinations et souvenirs qui viennent plomber une narration déjà répétitive, et qui, surtout, charge de multiples wagons sans vraiment savoir vers quoi elle se dirige.
La preuve en est cette course finale, qui, aussi réussie soit-elle sur le plan visuel, mène nos protagonistes de part et d’autre d’un gouffre qui semble bien être celui de l’inspiration : ne sachant plus que faire, le cinéaste opte pour la fin en suspens. Si on n’y jettera pas tout le film, qui ne manque ni de talent, ni de propos, on peut vraiment se sentir floués par toutes ces promesses non tenues.
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le 5 mai 2023
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