Guillaume Bureau, dont c'est le premier long-métrage, nous livre un film à suspens, très largement inspiré d'histoires vraies de soldats amnésiques, dans les années 1920, en Italie et en France, et qui étaient "réclamés" par une ou plusieurs femmes. A une époque où le nombre de disparus (ni morts ni vivants) dépassait les 300 000, ces soldats suscitaient un vif intérêt de nombreuses femmes en grande difficulté dans l'expectative de ne jamais retrouver leur mari.
Dans son film, Guillaume Bureau joue habilement sur l'ambiguïté des sentiments de deux femmes très différentes, Julie Delaunay et Rose-marie Brunet, qui croient ou sont certaines que l'homme amnésique qu'elles reconnaissent est bien le leur, en apportant des preuves plus ou moins crédibles. Disent-elles la vérité ou bien mentent-elles pour échapper au lourd travail de deuil, ou bien refaire leur vie ? C'est au spectateur de se faire son idée, et même si le tribunal finit par trancher au vu des preuves apportées, on pourra douter de son verdict.
Cet homme "disputé" entre ces deux femmes, tour à tour Julien Delaunay puis Victor Brunet, est joué par Karim Leklou, acteur reconnu, très crédible dans ce rôle par son comportement affable, indécis, semblant perdu par son regard vide, presque hagard; il joue un amnésique parfait, prêt à croire ce qu'on lui dit pour se créer des souvenirs.
On peut cependant regretter que le réalisateur n'accorde pas le même temps avec les deux femmes et consacre deux bons tiers du film avec Julie Delaunay, cette femme de photographe d'un milieu aisé de la petite bourgeoisie provincial; interprétée par une excellente Leila Bekhti, tout en profondeur et en nuances, Julie a ainsi tout le loisir de créer autour de Julien un environnement de séduction et d'amour propice à lui faire croire qu'il était bien son mari; mais on sent aussi ses doutes et la faiblesse des preuves qu'elle apporte au psychiatre qui ne veut pas que cet homme amnésique soit "attribué" à la mauvaise femme.
A contrario, lorsqu'arrive, débarque devrait-on dire, Rose-Marie Brunet, dite Frimousse, actrice de cabaret reconnue, l'histoire est traitée de manière très différente et avec plus de rythme : sûre que Victor était son compagnon barman, Frimousse affiche un détachement certain, en apportant des preuves qui semblent solides et troublantes, mais sont-elles si réelles ? Rose-Marie est interprétée par Louise Bourgoin, très superficielle dans son rôle, et sans aucune profondeur des sentiments, mais on peut penser que c'est voulu par le réalisateur pour cadrer avec son personnage de diva, hautain et apprécié de tous. Au fond pourquoi veut-elle récupérer cet homme ? Là aussi, le spectateur doit se faire son opinion.
Les deux femmes vont tour à tour essayer de charmer Julien/Victor, pour qu'au-delà de la décision de justice, cet homme amnésique choisisse son destin, ce qui ne manque pas de fortement le perturber.
Ne disons rien de sa décision finale bien sûr, mais l'incertitude et le suspens jusqu'au bout du film en font un de ses principaux attraits; il est bien dommage cependant que Frimousse entre en scène si tard; jusque-là le film peut sembler très lent. Reste l'intérêt historique de ces hommes amnésiques et traumatisés de la Grande guerre, si nombreux, et que l'on découvrait le plus souvent errants sur le quai d'une gare !