Comédie qui pleure
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Le premier réflexe à avoir désormais face à la livraison annuelle d’Allen (7 mois seulement nous séparent du si pesant Homme irrationnel !) est de résister au procès d’intention. Savoir pourquoi on y retourne à chaque fois, et que lui reprocher des constances qui motivent notre fidélité serait tout de même pousser la mauvaise foi un peu loin.
Il faut aussi se souvenir de la gigantesque et prolifique filmographique du cinéaste pour tenter de faire le point sur ce qu’il nous propose depuis quelques temps. Des ratages, certes, mais aussi une capacité à toujours creuser le même sillon sans pour autant raconter les mêmes histoires. Un choix de casting sans cesse renouvelé qui permet à la jeunesse glamour du moment une récréation vintage et classieuse, comme l’avait fait Bogdanovich dans son dernier opus, Broadway Therapy. Une atmosphère unique, éculée, certes, un peu limée par endroits, où se mêle fascination pour les riches, réflexions philosophiques sous formes de boutades, le tout mâtiné d’un jazz qui caresse dans le sens du poil.
Le ballet de Café Society fonctionne, comme toujours, et lorgne cette fois du côté de Lubitsch : triangle, voire quatuor amoureux, hésitations, traits d’esprits, et jeu constant entre les hautes sphères sociales opposées à la misère amoureuse permettant de malmener gentiment les hautes figures du glamour contemporain. Le couple Stewart/Eisenberg est adorable, la reconstitution impeccable, le jeu sur l’opposition Los-Angeles/New York à l’origine de quelques saillies amusantes.
Car Allen poursuit ici sa quête insatiable d’un cinéma-musée, voyage dans le temps fantasmatique. On parle beaucoup de Radio Days, auquel le film fait effectivement penser : un retour nostalgique sur un âge d’or, qui faisait toute la réflexion du très limité Minuit à Paris, et se trouvait aussi dans Magic in the Moonlight. Le Hollywood des années 30 est ici l’occasion d’un name dropping assez épuisant (qu’Eisenberg a beau tourner en dérision, on ne nous le sert pas moins…), autocongratulation du cinéma américain qui occupait déjà les frères Coen dans Ave César. C’est amusant, tout au plus, mais ce n’est pas dans ce vernis qu’on trouvera de quoi épaissir nos personnages en quête de hauteur.
C’est toujours la même question : Allen n’excelle jamais autant que dans les portraits des seconds rôles (toute la famille de Bobby, ses beaux-frères, sa mère, sont l’occasion d’archétypes assez délicieux), tandis que les protagonistes souffrent de cette légèreté généralisée et peinent à émouvoir.
La vanité pourrait donc l’emporter, et Café Society se limiter à ce ballet joliment orchestré, mais dont l’amertume ne reste pas en bouche.
C’est sans compter sur un autre facteur qui lui aussi mérite qu’on tienne compte du passif du cinéaste : la mise en scène. Allen ne s’est jamais véritablement distingué par son sens visuel, misant tout sur l’incisif de ses répliques et le plaisir de ses intrigues.
Or, Café Society est plastiquement splendide : une photographie moirée, un travail sur la disposition des costumes dans ces plans d’ensembles mondains qui abondent, permettent à l’hommage de s’imposer avec un charme fou. La première séquence dans la villa au bord de la piscine illustre à merveille la beauté du film : mouvements aussi discrets que justes des travellings, superbe jeu de lumière et chromatisme rutilant, tout est absolument parfait.
Il serait malhonnête d’y voir là un cache-misère : l’hommage au cinéma passe aussi par le soin apporté à l’écrin qu’on lui dessine, et les personnages gagnent en épaisseur dramatique (des âmes esseulées dans un carnaval flamboyant) ce qu’ils peinent à distiller en émotion.
Un constat tout de même assez revigorant lorsqu’on constate que le réalisateur nous propose ici son cinquantième film, et qui peut même nous donner envie de voir les prochains.
(6.5/10)
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le 16 mai 2016
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