France avec les loups
La Grand Guerre aura généré les grands films de Bertrand Tavernier : après La Vie et rien d’autre, Capitaine Conan reprend le chemin des tranchées, dans une approche assez similaire sur le plan...
le 13 juin 2018
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Comment arrête-t-on une guerre? Comment gérer la vie après? Telles sont les interrogations de Bertrand Tavernier dans le récit de Capitaine Conan. Le personnage tutélaire est chef d’une escouade de francs tireurs sur le front bulgare de la Grande Guerre, à qui est confiée les tâches les plus violentes et dont l'efficacité sauvage est redoutable. Un homme trapu, dont le parler est incisif et sans ambage, une gouaille dont la brutalité n’est égalée que par les actions de combat, incarné par un Philippe Torreton au sommet, et qui est un temps porté en héros
Puis est signée l’armistice, et le héros devient une épine dans le pied de l’administration. Une bête sans laisse que l’on voudrait rentrer au chenil, mais dont les faits d'armes ne permettent pas de se débarrasser simplement. On tente alors de retourner un de ses camarades, Norbert (Samuel Le Bihan), en lui faisant endosser tour à tour le rôle de défenseur des tribunaux militaires, puis celui d’accusateur. En lui faisant miroiter que ses anciens compagnons seront plus équitablement servis par un idéaliste tel que lui, malgré que l’on envoie tout de même des soldats égarés sur les champs de bataille devant le peloton d’exécution sous prétexte de désertion et que les voleurs de pomme peuvent encourir la prison. Norbert essaie de comprendre en s'immisçant dans la machine, mais Conan, lui, a déjà compris.
Y’a ceux qui font la guerre, et y’a ceux qui la gagne
Il est des seconds. Un guerrier, pas un soldat. L’autorité voudrait le museler alors qu’il a saigné pour son pays. Il a saigné l’ennemi, principalement, mais il a aussi vu ses frères d’arme se faire envoyer au turbin sans remerciement. C’est dans ce chaos qu’il a pris vie, lui qui n’était rien dans le civil, et qu’il a développé un sens de l’honneur qui l’interdit de trahir. Alors il ne balancera pas les auteurs d’un braquage, mais quand il s’agira de juger un potentiel déserteur, la pire des engeances, il fera ce qu’aucun tribunal ne fera jamais pour essayer de comprendre s’il s’agit d’une traîtrise ou d’une méprise, en se rendant sur le terrain et en démontrant par un exposé empathique que le pauvre erre n’était qu’un gamin apeuré. Un pleutre, mais pas un rat. La bête pragmatique n’en est pas moins humaine, et le pays n’en veut plus.
Capitaine Conan traite de l’impossible conciliation d’une vie après la guerre, celle-ci ne finissant jamais vraiment. Mené tambour battant, nous amenant tantôt sur le front dans des mouvements de caméra qui ne savent où donner de la tête, pointant là où ça pète, tantôt sous une pluie diluvienne qui accompagne le discours de Foch devant une foule de soldats qui s’amenuise au fur et à mesure que l’on va chier derrière un mur faute de pouvoir se contenir. Les hommes sont à bout, tandis que la lumière n’arrive jamais.
Une sombre mélasse qu’un psychologue attaché à l’armée américaine pour traiter les syndromes post-traumatiques qualifiera de meilleur film sur le Vietnam jamais réalisé. L’universalité de l'œuvre de Tavernier, parlant de tous les soldats, de tous les bourbiers, et de toutes les nations qui détournent le regard, érige le Capitaine Conan en une figure mythologique dont la destinée manifeste est de disparaître après la tourmente.
Magistral.
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Créée
le 30 mai 2024
Critique lue 12 fois
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