J'avoue que, dans les premières minutes du film, j'étais complètement largué. Atom Egoyan nous montre d'un coup tous les personnages de son film, sans vraiment nous les présenter. Allez savoir qui est qui, dans un cas pareil !
Je ne devrais peut-être pas le dire, mais il m'a fallu une dizaine de minutes pour comprendre l'organisation de cette introduction, qui sera l'organisation de l'ensemble du film d'ailleurs : le cinéaste joue sur la temporalité. Les séquences alternent en un constant aller-retour passé-présent, à huit ans d'intervalle.
Le fil rouge, c'est Cassandra.
Ainsi, nous voyons Cassandra, neuf ans, bientôt dix, qui disparaît alors que son père était allé à l'épicerie. Puis nous la retrouvons, huit ans plus tard, prisonnière de son ravisseur dans une chambre sans fenêtre et dont la porte est fermée par un système électronique. Et le film va continuer comme cela, passé, présent, etc.
Cette construction rigoureuse permet à Atom Egoyan de jouer sur trois tableaux.
D'abord, l'enquête. Et là, attention ! Car si le sujet pourrait nous permettre de faire le rapprochement avec Prisoners, le traitement du cinéaste est complètement différent. L'enquête est vue de façon elliptique, très lente, ultra-réaliste. Sans violence et sans affect : le cinéaste prend ses distance avec les personnages. Nous assistons à tout cela en témoins, avec une certaine marge d'éloignement. Un polar froid, en quelque sorte.
Le deuxième tableau, c'est celui du drame humain. Là aussi, un immense merci à Egoyan de ne pas nous faire sombrer dans le pathos. Rejoignant la subtilité qui avait fait la réussite de De Beaux Lendemains, le cinéaste évite toute facilité qui pourrait plomber son film. Et pourtant, il y aurait de quoi.
Parce que le père est complètement consumé par les remords. C'est lui qui a laissé sa fille dans la voiture (à ce titre, l'affiche, telle que je la vois maintenant, est très belle, d'abord par sa sobriété, ensuite par ce qu'elle dit d'un père enfermé dans son passé, obligé de constamment regarder vers l'arrière, vers là où se trouvait sa fille). Il se sent responsable de sa disparition et tente de compenser cela, de se racheter par une recherche quasi frénétique.
C'est là que les paysages enneigés prennent leur importance. Quelle que soit la période où l'on se trouve, le film se déroule dans un paysage figé par la neige (il se passe au Canada, au bord des chutes du Niagara). Et ce paysage glacé représente parfaitement la vie glacée des parents. Une vie gelée, où plus rien n'existe, où plus rien n'avance.
Cassandra, elle, c'est une patineuse. Elle a appris à évoluer sur la glace. Si le paysage est gelé, ça ne l'empêche pas d'avancer, de grandir, voire même de s'épanouir. Mais ses parents, eux, sont figés.
Le troisième tableau, c'est celui des relations entre les personnages. Et c'est là que le film est le plus troublant. I se joue, entre les personnages, un jeu pervers de domination. Bien entendu, c'est le cas du ravisseur, personnage serpentin, visqueux mais qui présente bien. Qui s'amuse à maintenir les parents de Cass dans un état de souffrance permanente (le coup de la dent de lait de Cassandra, cachée dans une des chambres d'hôtel où la mère exerce son travail, c'est quand même du sadisme).
SPOIL
la scène de l'enlèvement de la fliquesse, dans le seul but de la replonger dans les souffrances de son enfance en la faisant revivre un événement traumatisant, est un grand moment de sadisme aussi
FIN DE SPOIL
Mais cette volonté de domination ne se retrouve pas exclusivement chez le ravisseur. L'un des policiers y est aussi sujet. Jeff, qui se plaît à rappeler au père de Cass qu'il est responsable de sa disparition, voire même qu'il l'a orchestrée en personne. Jeff qui s'amuse à prendre son propre enfant pour attirer des pédophiles et les arrêter.
Car les réseaux pédophiles constituent le troisième cas de perversion sadique du film.
Une fois de plus, Egoyan marche sur des œufs. Il joue tout en finesse, distille l'ambiguïté de ses personnages et une ambiance délétère par petites gouttes, lentement et subtilement. Jamais de scènes violentes, jamais d'images choquantes, jamais de pathos, jamais de tape-à-l'oeil qui serait déplacé ou complaisant. Jusqu'à ce que, sans savoir comment, le spectateur soit aussi captif du film que Cassandra, ses parents, et ses personnages dans l'ensemble.