Comme une idée, commune idée, le communisme...
Faire une critique de Carnets De Voyage revient à s’exposer aux tirs d’artillerie des anti-communistes primaires qui pensent encore aujourd’hui que tout communiste (en plus d’être mieux mort) est favorable au goulag, à la dictature et à la police secrète. Ceux-ci oublient bien vite l’esclavage, la colonisation, les exterminations d’American Natives, Hiroshima, la Shoa, Guantanamo, les prisons européennes secrètes, la torture ou encore la guerre du Vietnam qui ont été l’œuvre de libéraux de tous poils et de tous pays. Alors comme on dit : chacun sa merde !
Walter Salles fait donc le pari de raconter le long voyage entrepris au milieu des années cinquante par Ernesto Guevara (encore étudiant en médecine et pas encore le Che) et Alberto Granado à travers l’Amérique latine, juchés sur une vieille pétaudière surnommé affectueusement « La Vigoureuse ». Ce voyage a pour but de faire d’eux des humains, de leur faire découvrir cette Amérique du sud que certains rêvent unie et de les amener dans une léproserie où ils doivent parfaire leurs connaissances médicales en vue de l’obtention d’un diplôme.
Ce qu’ils ont affronté, il est probable qu’eux-mêmes ne l’avaient pas anticipé, ce continent pouvant être celui des extrêmes climatiques et vous faire passer en quelques semaines du désert de l’Atacama aux monts gelés enneigés de la cordillère des Andes. Pour ceux qui ont déjà fait de la moto sur la neige, ils savent l’enfer que cela peut être. Mais ce qu’ils n’avaient pas dû imaginer, c’est l’état des populations indigènes qu’ils allaient rencontrer, des populations toujours expropriées à cette époque par les descendants des européens. C’est à ce moment que les consciences humaines et politiques de Gueverra et Granado vont naître, croître, prendre forme et prendre sens.
C’est à travers des rencontres, des constats et des découvertes que ces deux hommes vont comprendre que le monde qui les entoure s’articule autour de la défense des intérêts particuliers au détriment de l’intérêt général. L’absence de justice qui préside aux rapports humains va commencer par les abattre pour, plus tard, sonner en eux la révolte et plus tard, comme chacun sait, la révolution.
Être sensible aux idées humanistes aide certainement à ressentir un peu plus la portée de ce film. L’intérêt est suscité tout d’abord par l’enjeu historique du scénario, pour ensuite se porter sur un voyage initiatique qui démontre à quel point il est important de se donner la peine de partir à la découverte de l’autre et du monde qui l’entoure. Le duo d’acteurs Gael Garcia Bernal et Rodrigo de La Serna fonctionne parfaitement, ils rendent compréhensible l’opposition et la complémentarité des caractères de Gueverra et Granado qui semble avoir été salutaire pour achever ce voyage et les a aider à s’ouvrir les yeux l’un l’autre.
Pour une fois, la bande originale se démarque de l’insipide production actuelle, elle parvient à la fois à soutenir le propos du film en lui apportant un supplément d’âme et à exister pour elle-même. Contrairement à beaucoup de films actuels, on ne l’oublie pas sitôt le générique achevé parce-que cette bande originale-là, est belle. Walter Salles semble l’avoir compris puisqu’il l’utilise intelligemment dans une mise en scène qui magnifie les paysages spectaculaires d’Amérique latine et, avec une étonnante douceur, fera ressentir aux plus gauchistes d’entre vous, le gâchis qu’a été l’assassinat du Ché par la C.I.A. (mais si c’est vrai !)
Un film doux-amer en fait, c’est le sentiment sur lequel on achève ce long-métrage, avec la certitude d’être passé à côté d’un homme majeur de notre époque qui a laissé derrière lui le souvenir d’une icône qui a fini récupérée par des marques à des fins publicitaires, comble de l’ironie et de l’absence de morale et de limites d’un système. Merci à Walter Salles d’avoir rappelé que certes, le communisme a été traversé par des dirigeants sanguinaires tels que Staline ou Pol Pot, mais qu’il a connu aussi des hommes grands et sincères tels que Salvador Allende, Vladimir Ilitch Oulianov et bien sûr Ernesto Gueverra. Finalement ce film, c’est la naissance d’une idée…