Two Lovers
Avec cette mise en scène, que ne renierait pas Wong Kar Wai version In the mood for Love, la discrétion des sentiments sied parfaitement à une nomenclature esthétique au souffle court, qui fait...
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le 13 janv. 2016
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Il y a 20 ans Todd Haynes choisissait comme ligne de conduite avec Safe puis Far From Heaven de filmer la femme au foyer américaine, de sa capacité à exister dans un milieu ne favorisant pas nécessairement son émancipation, Carol se place dans cette même lignée en abordant cette fois en majeure partie l’homosexualité. La couleur était d’ores et déjà affichée et ma première crainte fut que le film tombe gracieusement dans un discours pro-lesbianisme des plus consensuels, ce genre de campagne prisée par les académies encourageant la bienséance d’un ordre moral au cinéma contre vents et marées de celle d’une inquiétante ligue grandissante et manifeste. Toujours bousculer les consciences, le monde en est irrémédiablement au même point, la mission était donc ardue et sensible, à ce niveau tout peut se jouer sur des détails, principalement la mise en scène et le ton donné au sujet. Périlleux.
Dans le New York des années 50 la jeune Thérèse Belivet (Rooney Mara) travaille un peu par défaut dans un grand magasin de jouets, elle rêve de devenir photographe à temps plein mais reste craintive du monde, un jour sa vie va changer lorsqu’elle croise Carol (Cate Blanchett) une femme d’une classe gracieuse et ensorcelante supportant le poids d'un mariage instable, c’est le coup de foudre. Les deux vont alors rester en contact pour partager leurs secrets et leurs désirs de liberté, cette complicité naissante va devenir rapidement vitale, quitte à prendre des risques dans une époque où ce genre de relation très rapprochée du même sexe n’est pas publiquement reconnue.
Le premier réel potentiel du film réside dans le choix du casting où Rooney Mara et Cate Blanchett semblent parfaitement à leur place, la première représente la jeunesse ingénue et fragile au visage de poupée brunette de porcelaine et la seconde la maturité à la blondeur flamboyante d’une carrure cicérone, deux actrices au charme et au talent certain qui se démarquent dans ce sens. Haynes a déjà prouvé par le passé ses qualités de metteur en scène et son travail ne pouvait en être que facilité, la justesse des regards et de l’expression corporelle se suffisent pour comprendre ce qui se passe entre ces femmes, de même qu’une caméra qui arrive à dépeindre subtilement l’idée reçue, toute la séquence de la rencontre dans le magasin de jouets est très réussie. L’idée du flashback aide aussi évidemment mais n’apporte que peu de pistes, le scénario avance en prenant son temps et l’ambiguïté sensuelle s’affirme au fur et à mesure, c’est je dois dire bien pensé et réalisé, car de prime abord il n’est pas criant que Thérèse et Carol soit homosexuelles, le doute est réellement permis dans la première partie, l’une fréquente tant bien que mal et timidement des garçons de son âge et l’autre est une mère de famille impliquée. Il n’est pas forcément question de verser dans la gratuité provocatrice pour choquer le spectateur réticent, Haynes veut simplement parler d’amour entre deux êtres perdus cherchant désespérément leur âme sœur, un message pouvant être reçu par n’importe qui, et c’est cette profonde sensibilité qui fonctionne.
Cependant ce qui m'a dérangé dans l'application de ce schéma c'est que les hommes n’ont eux pas vraiment de rôle consciencieux, ils sont forcément maladroits, fourbes, profiteurs ou ivrognes, j’ai eu l’impression que cette pointe de manichéisme avait comme volonté de déblayer le terrain pour favoriser ce rapprochement, le jeune garçon qui tente de séduire Thérèse ne fait absolument pas illusion, je pense que le film n’avait pas besoin de ça pour étayer son propos, un vrai triangle amoureux aurait même pu par exemple être encore plus pertinent. Et la musique se place un peu trop souvent pour appuyer avec insistance des moments qui auraient pu s’en retrouver encore plus intéressants dans la manière croissante de distiller ce magnétisme charnel, heureusement le film retrouve de la grâce et du raffinement dans la séquence du piano avant que le mari de Carol n'entre en scène. Là on ose comprendre le passé de cette mère de famille et de ce couple qui bat sérieusement de l’aile, il y a de la suspicion dans l’air, la crainte du personnage de Kyle Chandler ne peut pas être infondée, il en va de même pour sa fréquentation avec celui de Sarah Paulson, tout semble lié. Puis vient l’éloignement forcé et la dépendance de l’une à l’autre, c’est la fascination de Thérèse pour Carol qui saute premièrement aux yeux, agissant autant comme une figure matriarcale qu’un fantasme inexprimable, encore une fois le film prend son temps et fait durer ses rapprochements jusqu’à l’étreinte annoncée.
Tout l’aspect road-movie reflétant la fuite ne met pas forcément le rythme en valeur il faut bien l’admettre car provoquer le délai fini par avouer le vide laissé en route, les étapes en deviennent redondantes, forçant l’instant du contact à n’être qu’exceptionnel de grâce pour marquer un climax émotionnel tenant toutes ses promesses. La scène en question est plutôt réussie même si elle aurait pu être à mon sens bien meilleure, j’ai aimé cet aspect initiatique et le distinguo du rapport de force où Carol dépose Thérèse sensiblement pétrifiée sur le lit, les actrices y vont à fond, puis l’équilibre des corps et le "My angel, flung out of space" lâché de la bouche susurrante de Blanchett, c’est convaincant, juste dommage que ça ne dure pas un petit peu plus longtemps (je ne demande pas La Vie d’Adèle non plus) tout en multipliant les angles de caméra, et puis sincèrement la harpe en guise de fond mélodique c’est un tantinet cliché niveau abondance mielleuse. Le dernier tiers nous replongera au plus prêt du regard de Thérèse, cette carence vitale soulignant les cernes de ses yeux, les murs de sa vie ont besoin d’être repeints pour y loger un avenir suivant les conventions; Carol retrouve ses repas dominicaux routiniers, souffrant également de l’absence de sa fille lors de la procédure de divorce contre son mari; la morosité est bien captée, comme un train qui reprenait son chemin initial après avoir déraillé vers une parenthèse enchantée.
Le flashforward justifie les actes manqués, la conclusion est je pense réussie car malgré, j’insiste, cette bande originale ratée et à mon goût trop académique (pourtant signée du compositeur habituel des frères Coen), l’émotion est là, j’ai trouvé ça touchant, le message sur l’amour universel et ce besoin irréversible de l’être désiré transparaît réellement, le cheminement est cohérent avec la volonté d’expliquer ce qu’est l’attraction d'une vie, ce don du ciel, le dernier plan est sublime. Haynes réussi son pari, son film n’est pas exempt de petits défauts mais on saurait lui pardonner, le duo Blanchett-Mara est irréprochable, sans doute le rôle majeur qu’attendait cette dernière après son passage fort prometteur chez Fincher, les consciences ne sont pas forcément bousculées mais le projet a au moins le triomphe modeste de sortir des sentiers battus du sur-conformisme hollywoodien, bien plus qu'un simple "film à Oscars".
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le 12 janv. 2016
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