Lee Marvin en légende de l'Ouest, plus saoul que son cheval
Dans d'anciennes critiques publiées sur le site (Il était une fois dans l'Ouest / Pat Garrett et Billy the Kid), j'avais placé Cat Ballou (vu il y a très longtemps) au rang des westerns d'adieu au western.
HORS SUJET.
Il n'y a rien de nostalgique, encore moins de crépusculaire dans la légende de Cat Ballou. C'est une comédie, et de la meilleure veine, entre cartoon et burlesque (comme dans la bagarre générale dans le saloon).
Pas tout à fait hors sujet, toutefois.
Le motif initial, le prétexte narratif, est bien la conquête de l'Ouest par une nouvelle civilisation, le progrès apporté par le train (et l'attaque, très parodique et réussie du train dans le film est peut-être aussi symbolique), incarné par les hommes d'affaires sans scrupules et par leurs sbires, représentants de l'ordre officiel et tueurs à gages. Cela ira jusqu'au meurtre des derniers pionniers et au thème de la vengeance, très classiquement (non, en fait ...) repris dans le film.
Et nombre de détails bien trouvés viennent appuyer ce renouvellement de civilisation - ou la décrépitude de l'Ouest ancien.
- les desperados modernes, les jeunes, sont des bras cassés (mais sympathiques), qui ont peur de leurs propres revolvers;
- l'indien du film (sympathique) ne se souvient plus trop de ses origines; on va même jusqu'à évoquer ... Israël et à se saluer par un salam incongru ;
- si l'on y ajoute une ancienne légende de l'Ouest déchue, le gang de Cat Ballou est en réalité une équipe de pieds-nickelés;
- les derniers représentants de l'Ouest sauvage sont relégués dans un micro monde, un village un peu pelé (mais sympathique), où les fuyards accèdent après avoir traversé une sorte de tunnel/frontière ; le village ressemble d'ailleurs aux bourgs crasseux de la légende (ceux de Pat Garrett ...), avec ruelle de terre, poussière, chiens errants et volailles ...
- et le saloon (sympathique) de ce havre ultime est tenu par ... Butch Cassidy (!!), désormais uniquement soucieux du bon fonctionnement de sa petite entreprise (pas de crédit !) et d'une co-habitation paisible avec les autorités du nouveau monde.
Il convient d'ajouter à cela deux magnifiques trouvailles qui font effectivement basculer le film du côté de la légende :
LE CHOEUR ANTIQUE
Le duo constitué du grand Nat 'King' Cole et de Stubby Kaye, le noir et le blanc, le grand et le petit, le maigre et le gros, équipé de guitares, banjos, pianos, chapeaux ronds, vestes rayées et bariolées, intervient régulièrement pour nous chanter, sur un thème très rythmé de Frank DeVol, la fameuse légende de Cat Ballou, et rythmer ainsi, ponctuer brillamment, l'enchaînement des péripéties.
ET SURTOUT IL Y A KID SHELLEEN,
la légende de l'Ouest, le mythe dont la jeune Cat Ballou lisait les exploits dans des illustrés de quatre sous. La légende réapparaît sous les traits d'un Lee Marvin, totalement saoul et clochardisé. Pour faire bon poids, il joue aussi le rôle du tueur impitoyable (équipé d'un nez en acier ...), assassin du père de l'héroïne. Il est beau, l'Ouest ancien ...
ET ALORS LE MYTHE RESSUSCITE
Pour la grande scène du film, Kid Shelleen redevient lui-même. Il balance sa flasque de whisky. Prend un bain, dans la baignoire en bois de tout bon western. Revêt caleçon deux pièces molletonné. Et puis, face à une glace en pied, ressort tout l'équipement : chemise cintrée, gilet pailleté, pantalon noir et moulant, veste d'apparat, stetson noir, bottes noires à éperons chromés. Prend la pose, bien plus grandiose que grotesque. Le mythe est rené, le héros de toutes les enfances. Flamboyant.
(et je soupçonne les scénaristes d'un autre grand western, une autre parodie et un autre bel adieu au genre, Mon nom est Personne - d'avoir été largement inspiré par cet épisode - lorsque les exploits du héros mythique défilent dans les livres d'images et lorsqu'il décide seul d'affronter, pour la légende, toute l'armée des nouveaux envahisseurs).
Les deux principaux comédiens incarnent avec maestria cet ultime moment de révolte :
Jane Fonda, très belle mais aussi, comme souvent (on peut penser à la métamorphose de son personnage dans Retour) toute en finesse dans la façon de maîtriser l'évolution de son personnage, de la petite institutrice de province, timide mais très curieuse, à la pasionaria vengeresse à la tête de son gang,
et Lee Marvin, dans un double rôle irrésistible (et oscarisé), aussi à l'aise ici dans le comique énorme que dans les rôles tragiques et très physiques qui constituent son image de marque.
Ils sont l'image, à la fois achevée et éternelle de cet ouest ancien.
Et l'on peut dès lors considérer la légende de Cat Ballou, dans le registre de la pure comédie (mais pourquoi bouderait-on son plaisir ?) comme un hommage, et des plus réussis, à la légende de l'Ouest.
Après la menace d'une pendaison (mais pas vraiment angoissante pour le spectateur, et sans risque de spoil - aucune perspective de drame dans le film), Cat Ballou parvient à s'échapper. Kid Shelleen a évidemment un rôle déterminant dans ce dernier exploit - et à ce moment-là on peut vraiment se demander qui est le plus saoul, de lui ou de son cheval.
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Et la petite bande n'a plus qu'à s'enfuir vers l'horizon et vers la légende. C'est Nat 'King' Cole qui le dit.