En 1966, Ken Loach possède (à 30 ans) une solide expérience audiovisuelle derrière lui, réalisateur de plusieurs épisodes de séries TV et de téléfilms. Cathy Come Home est d’ailleurs le septième épisode de la série The Wednesday Play de la BBC, pour laquelle Ken Loach travaille depuis quelques années, où le cinéaste va établir les bases de ce que sera son cinéma : des interrogations sur réalité sociale des gens modestes, un Etat défaillant, un flirt régulier avec le documentaire sans se départir pour autant d’un sens de la mise en scène nerveuse mais maîtrisée, d’un montage au cordeau et d’acteurs au jeu naturaliste.
Il faut dire que nous ne sommes pas à n’importe quel moment de l’histoire du cinéma : le Free Cinema (la “nouvelle vague britannique”) fête ses dix ans, le cinéma-direct s’est imposé comme école dominante dans le documentaire et un autre réalisateur de la BBC, Peter Watkins, vient de frapper un grand coup avec son The War Game, docudrama tout aussi glaçant que marquant. Ken Loach n’est d’ailleurs pas très éloigné de l’école Watkins, construisant son scénario fictionnel sur une base documentaire très forte, mettant juste de côté les expérimentations pour une approche plus sobre, plus terre à terre, mais tout aussi percutante.
Bon, on va être honnête, Cathy Come Home ne cache pas totalement son grand âge, affichant de ci de là quelques tics, quelques faiblesses typiques des films des années 60. Il n’en demeure pas moins un film puissant, sans compromis, mené avec une vitalité qui frôle parfois la rage ; Ken Loach est un réalisateur engagé et non content de l’assumer le revendique carrément en le hurlant à travers ses images et son récit implacable. La notion de documentaire, majoritairement basée sur des rapports et des statistiques, appuie la violence des rapports humains que Loach ne cesse d’ausculter. A ce titre, les multiples altercations entre le couple et les autorités ne laissent jamais indifférents, et ce ne sont pas les quelques maigres respirations dans le montage qui nous laisseront reprendre notre souffle, coupé par ces voix-off anonymes soulignant inlassablement des conditions de vie que l’on croirait dignes de bidonvilles du tiers-monde et non de l’Angleterre des années 60.
Pas parfait, c’est sûr, mais suffisamment puissant pour ne pas laisser indifférent, Cathy Come Home fascine autant qu’il intrigue, synthèse d’une époque et de l’esthétique d’un futur grand cinéaste en devenir.