Nous sommes en 1975. Yann Andréa, de son vrai nom Yann Lemée, est étudiant en philosophie de 18 ans à l'université de Caen lorsqu'il assiste à une projection du film India Song réalisé par Marguerite Duras. Il rencontre l'auteur et lui dit son admiration pour son œuvre. Elle lui donne son adresse à Paris et, pendant cinq ans, Yann Lemée lui écrit sans jamais recevoir de réponse. En 1980, Yann reçoit enfin un message de Marguerite sous la forme de son dernier livre, L'homme assis dans le couloir, qu'elle lui a fait envoyer. Yann, déçu par cette œuvre, ne répond pas et cesse même de lui écrire. De son côté, Marguerite ne se décourage pas et continue à lui adresser ses livres suivants : Le navire Night, Aurélia Steiner et Les mains négatives. Yann recommence alors à lui écrire. Il lui téléphone même à Trouville où elle rédige des chroniques pour le journal Libération. Marguerite Duras invite alors son jeune admirateur à venir la voir à Trouville, qui est tout près de Caen, pour "prendre un verre". Il ne la quittera plus. Pendant 16 ans, ils vivront ensemble, lui le jeune homme de 28 ans et elle, la femme âgée de près de 70 ans, malade, désabusée et alcoolique mais toujours supérieurement intelligente. Leur relation est passionnelle, aussi bien sur le plan intellectuel (ce qu’on peut comprendre) que physique. Marguerite Duras se nourrira de lui et lui se nourrira d'elle. En 1983, Yann Andréa publiera M. D. aux Editions de Minuit qui est le récit de la cure de désintoxication qu’a subie Marguerite Duras lors de la préparation de son film Savannah Bay. Ce récit terrible, lucide, n’obtiendra une réponse qu’en 1992, lorsque Marguerite Duras publiera à son tour Yann Andréa Steiner, qui est inspiré de cette étrange relation.
Marguerite Duras meurt en 1996, faisant de Yann Andréa, malgré les différends qui avaient fini par les opposer, son exécuteur testamentaire. Trois ans après, en 1999, Yann Andréa publie Cet amour-là, le récit sans fard de sa relation tumultueuse avec Marguerite Duras.
Le film
Je ne suis pas un grand fan de Josée Dayan, qui s'est surtout illustrée dans des téléfilms et des séries télé pompeuses et rarement réussies, sa pire réalisation restant sa lamentable adaptation des Rois maudits en 2005). En ce qui concerne le cinéma, elle n'avait jusqu'à ce film, réalisé qu'un autre long métrage en 1990, Plein fer, un thriller se passant dans le milieu de la boule marseillaise, qui ne laissa aucun souvenir à personne malgré la présence de Serge Reggiani.
Je m'attendais donc au pire avec cette adaptation du livre sensible et émouvant de Yann Andréa. Or, je dois reconnaître que, loin de la lourdeur de char d'assaut dont elle a fait sa marque de fabrique, Josée Dayan a, avec ce film, réalisé une adaptation troublante du livre de Yann Andréa. Il est vrai que le choix de Jeanne Moreau, qui sait incarner une Marguerite Duras plus vraie que nature, est pour beaucoup dans cette réussite. Dans le rôle de Yann Andréa, Aymeric Demarigny, jeune comédien français que l'on connaît peu, interprète aussi avec une justesse fascinante ce personnage de jeune homme fragile et timide qui ne se rebellera qu'à l'extrême limite contre la tyrannie de la "vieille dame indigne". Je l'avais remarqué, il y a des années, dans un téléfilm que je n'ai jamais pu retrouver, Marie-tempête (2000) et revu, en pâlichon Charles IV de France dans l'adaptation déjà citée des Rois maudits. Il y était désastreusement mauvais, mais il n'était pas le seul, hélas car même Philippe Torreton ânonnait son texte et des acteurs de talent comme Gérard Depardieu ou même... une certaine Jeanne Moreau n'étaient pas au mieux de leur forme.
Cet amour-là est une belle surprise.