Si Chained est une œuvre on ne peut plus actuelle, s’emparant de thématiques aujourd’hui au centre des préoccupations – violences conjugales, agressions sexuelles sur mineurs, abus d’autorité des forces de l’ordre etc. –, il se construit néanmoins telle une tragédie de l’Antiquité et des siècles classiques : son récit commence ainsi par immerger le spectateur dans la routine épuisante de Rashi dont les éléments constituent des prolepses et diffusent une ironie dramatique rapidement anxiogène ; ses retournements de situation chapitrent le film et distinguent des actes et des scènes, inscrits dans une esthétique du revers de fortune cher au théâtre du XVIe siècle par exemple ; l’espace privilégié par le long métrage est celui de l’espace clos, traduisant par la réduction de ce dernier la dégradation de l’univers de Rashi – nous passons en effet de l’appartement à la chambre d’enfance puis à la chambre d’hôtel.


D’autant que Chained est un grand film sur la communication rompue ou en train de se rompre : il y a rupture entre le père et sa fille qu’il ne comprend pas, attestant alors la présence d’un fossé important opposant deux générations ; entre le mari et son épouse qui, à mesure qu’elle se rapproche de sa fille, s’écarte de lui ; entre le policier et l’institution dont il dépend, qui se met à enquêter sur lui et le place à l’écart. Aussi le long métrage travaille-t-il la destruction de l’univers de Rashi comme un processus de marginalisation autant spatiale que morale, le téléphone portable devenant cet intermédiaire infidèle et cassé qui, au lieu de resserrer les liens, contribue, par son silence, à les défaire. L’homme devient un espion, un jaloux, un criminel. La porte d’entrée ne s’ouvre plus, la serrure a été changée. Élément hautement symbolique, puisqu’il incarne tout entier cette dépossession intégrale de sa vie jusqu’alors pensée comme construction partagée.


Chained interroge également la notion d’autorité et la violence qui peut en découler : les personnages secondaires voire tertiaires apparaissent tels des témoins de cette violence que nous, spectateurs, comprenons. De cette manière, le film rappelle l’importance du point de vue et condamne les discours journalistiques qui, en prétendant ne rapporter que les faits, diabolisent, jugent, exécutent sur la place publique sans légitimité aucune. Tour à tour comique et tragique, l’œuvre de Yaron Shani constitue une réussite flamboyante portée par d’excellents acteurs. Deuxième volet d’une trilogie consacrée à l’amour, Chained élabore un engrenage glaçant qui a l’audace de se placer du point de vue de celui qui exécute pour mieux interroger la notion de culpabilité.

Fêtons_le_cinéma
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le 2 juil. 2020

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