Charlot Apprenti par Maqroll
Les films Essanay, la plupart tournés en 1915, sont certes plus élaborés que ceux effectués auparavant pour la Keystone, mais il leur manque encore cette touche de génie que l’on trouvera lorsque Chaplin passera à la Mutual. On peut néanmoins regarder attentivement un film comme Work (Charlot apprenti en français) pour ce qu’il nous révèle d’essentiel. Il est évident que le scénario n’est pas beaucoup plus consistant que ceux des films de la même catégorie (le burlesque) et de la même époque (de Fatty ou de Mack Sennett par exemple). Il repose sur une vague construction (ici des travaux à faire dans une maison et un amant intempestif), prétexte à des gags qui s’enchaînent avec quelques récurrences comme les poursuites ou la tarte à la crème (remplacée ici avec bonheur par la peinture). Mais ce qui fait l’énorme différence avec les auteurs cités et tous les autres, c’est le jeu de Chaplin : sobre, précis, toujours juste, il est d’une modernité inouïe, en avance d’au moins vingt ans sur son époque. Un exemple : lorsqu’il fait la cour à la soubrette, il se cure les ongles avec une truelle puis les lime avec une râpe à bois… poésie pure ! Et lorsque, impassible, il se livre à des duels de peinture, il en sort à chaque fois vainqueur par son agilité et son intelligence imperturbable. Mais en plus d’être un acteur prodigieux, il est déjà un grand metteur en scène : chaque plan est travaillé et il n’y en a pas un de trop, les images expriment toute la gamme des sentiments et des émotions. Enfin, il se montre tout naturellement un excellent directeur d’acteurs puisqu’il est en mesure d’expliquer à chacun ce qu’il attend et même de le montrer si nécessaire… Un petit film donc mais bourré d’enseignements sur celui qui sera bientôt le génie incontestable du cinéma.