Pourquoi regarder Cruel, cruel World en 2020, court-métrage d’à peine dix minutes sorti en 1914 et mettant en scène les malheurs d’un Charlot petit séducteur ? Parce qu’il est une illustration parfaite de ce que l’on appelait le slapstick – marque de fabrique du studio de production Keystone –, soit un humour reposant une exagération bouffonne de la violence qui oppose souvent deux corps en altercation ou alors un seul et même corps engagé dans une lutte intérieure. Sont représentés ici les deux types d’affrontement : Charlot se jette sur l’homme qui se joue de lui, il lui lance une chaise, il le pousse à l’intérieur de la pièce ; Charlot, convaincu d’avoir été empoisonné, se débat contre le mal qui le ronge mais qui s’avèrera rapidement trompeur, fruit de son imagination. En résulte une œuvre économe dans sa durée et généreuse dans ses effets comiques, bijou méconnu d’efficacité et de concentration d’une énergie burlesque impressionnante. De plus, le film inscrit son exagération dans un cadre qui peut la justifier, puisqu’il est question tour à tour de la passion amoureuse, de la déchirure du personnage à cause de cette passion pour un temps rompue et de la mort qui le menace. Un grand petit, tout petit film à découvrir.