Nobuhiko Obayashi c'est 50 ans de carrière, un cinéaste prolifique et hétéroclite d'abord connu pour son déjanté Hausu depuis sa sortie Criterion en 2010 qui a fait l'effet d'une bombe dans le paysage cinématographique japonais auprès des cinéphiles ou des demandeurs de curiosités excentriques. Une chose s'est imposée pour beaucoup et à moi même (pour mon plus grand regret aujourd'hui) au visionnage de son premier long métrage : Obayashi c'est un peu le type qui est entré dans le panthéon des cinéastes barrés qui ont fait un film complètement barré, c'est un peu comme le cas Funky Forest: The First Contact pour ses petites scènes visibles sur youtube d'une fameuse séquence bien dégoulinante, c'est fun d'accord mais le film avait beaucoup de choses à offrir en dehors de ce sketch là et il en va de même pour Katsuhito Ishii (disparu de la circulation...)un des réalisateurs du film.
J'ai vu Hausu il y a 6 ans et depuis silence radio dans ma tentative de voir autre chose de sa part, il a fallut que j’apprenne sa mort il y a quelques mois pour me plonger tête la première dans son imposante filmographie et au bout de 12 films vus le constat est sans équivoque : A mes yeux Nobuhiko Obayashi est un des plus grands précurseur de tout ce pan du cinéma japonais post 90 sur la jeunesse/adolescence (et le rapport à la famille par extension), une source inépuisable d'idées pour nos cinéastes japonais contemporains: De Shinji Iwai à Sono Sion en passant par Shinobu Yaguchi et bien d'autres, notamment dans l'animation japonaise.
Chizuko's Younger Sister est une merveille du cinéma adolescent, c'est sans aucun doute mon favoris, celui qui m'a le plus bouleversé avec Love Letter de Shunji Iwai avec lequel il partage quelques similitudes.
Sur papier c'est sur qu'il y avait tout pour en faire un mélodrame lacrymale dégoulinant et ringard (et avec les gros violons de Joe Hisaishi en prime!), sur pellicule c'est une oeuvre aux décharges émotionnelles déchirantes sous lesquelles se dessinent de mini drames plus intimes, plus en retenues, dessinés avec de légers détails, de petits signes avant coureurs dont une certaine trame narrative en arrière plan durant une bonne partie du métrage qui sera au premier plan dans la dernière partie du film.
C'est la définition que je me fais du cinéma du quotidien, du banal, du rien, de la vie quoi.
Onomichi est le terrain idéale pour Obayashi qui est né dans cette petite ville qui s'habille d'un sentiment de nostalgie à son contact (seulement visuel pour nous).
Je vais recopier un passage de mon petit avis d'un autre de ses films Lonely Heart : "Pourquoi le paysage d'Onomichi (que je ne me lasse jamais de visiter au gré de sa filmographie) est-il si nostalgique même pour ceux qui le voient pour la première fois se demande le narrateur au début du film, mais parce qu’il semble tellement atemporel ce lieux...j'ai l'impression que dans chaque film d'Obayashi qui se localise dans cette petite ville résonne ses souvenirs et émotions les plus profondes, grâce à lui je rêve de sillonner toutes ces rues tentaculaires qui semblent toutes menées à ce petit port où l'on doit prendre un bateau de passage pour rejoindre les différentes petites îles qui la compose"
Le réalisateur a beau retourner à de nombreuses reprises dans sa ville natale (il y a une trilogie composé de I are you, you am me, Lonely Heart et The Little Girl Who Conquered Time sur cette ville, d'ailleurs je ne sais pas pourquoi on parle de trilogie alors que ce ne sont pas les seuls films se passant dans cette zone du japon...) on la redécouvre à chaque fois, on prend toujours plaisir à revenir nous aussi dans certains lieux qui nous ont marqués dans un film précédent, et puis voir Mika arpenter une nouvelle rue, caresser des petits chatons au passage tout en accompagnant son père jusqu'au train et celui-ci se surprenant à avoir emprunté un passage qui lui était inconnu bah ça marche chez moi aussi.
Dès le départ un passage en particulier annonce l'ambiance du film, une séquence d'agression en pleine nuit assez dérangeante mais il y a une forme de sérénité qui se dégage de cette action, c'est difficile à décrire mais la situation est vraiment légère, l’apparition du fantôme de sa défunte sœur le confirme encore plus, ce moment est complètement volatile, éthérée, Chizuko n'aura jamais un seul impact physique sur la vie de Mika (Jeune collégienne encore en plein deuil, étourdie, maladroite, terriblement lente - elle ferait de l'anémie) et cette intrusion du paranormale permettra à cette dernière d'affronter ses propres troubles et de panser ses cicatrices encore ouvertes.
La suite du film beigne dans une ambiance véritablement vaporeuse qui me fait de suite penser à Shunji Iwai durant sa période de film sur l'adolescence avec ces magnifiques dialogues qui s'envolent et surplombes les images.
Il faut voir le traitement réservé aux personnage secondaires, à sa meilleure amie qui la suivra dans toutes les étapes de sa vie, l'ex petit copain, Chizuko elle même bien que physiquement absente, la crise familiale qui frappe ses parents et certaines petites apparitions fugaces mais qui en font de pures envolées émotionnelles : cette dernière scène avec ce personnage qui entre dans le cadre alors qu'on l'avait complètement oublié mais bordel cette émotion...!!!
Obayashi aime cette ville, lui porte une tendresse infinie de même pour les personnages qui y habitent : ça me fait penser à Si tu tends l'oreille à ce niveau là avec les figurants qui vaquent à leur occupation, les deux jeunes filles (Mika et son amie toujours ensembles) sont toujours filmées au même niveau que l'animation de cette petite ville avec des plans d'ensembles qui arrivent à capter le quotidien de toute une partie de la ville, c'est ce cinéma là que j'adore qui me fait tant rêver et je n'ai jamais ressenti une telle émotion ailleurs.
Et puis c'est toujours une certaine surprise dans le cinéma d'Obayashi, on ne sait jamais de quelle façon il va nous embarquer, il y a des contrastes de ton souvent saisissant, je pense notamment à tout ce gros final de The Discarnates qui tranche radicalement avec le reste du film (avec une grosse envolée orchestrale là aussi), dans celui-ci il y a cette séquence du concert de la Symphonie nᵒ 9 de Beethoven où l'image tout entière subit les expérimentations du réalisateur : énormes effets lumineux, sur-impression, travail sur le son exacerbé, il y a cette méthode visuelle typique du réalisateur pour montrer à ce moment là 3 âmes fantomatiques (de manière symbolique pour Mika et l'ancien petit copain) se rencontrer dans un spectacle complètement Fantastique, une sorte de point culminant où les personnages devaient absolument se rencontrer à ce moment précis et ça la mise en scène le rend super bien, c'est assez impressionnant.
Au bout de 2h30 le film se termine par le commencement, une boucle se referme, Mika a définitivement mûri.