Chu, un étudiant sud-coréen, débarque dans une ville de seconde zone des Etats-Unis pour y réaliser un échange international pendant un an. Si l’idée de départ ne laisse transparaître aucune innovation narrative, Chu & Blossum rejoint pourtant à prime abord cette branche du cinéma indépendant américain qui choisit de s’illustrer par une poésie du décalage. Le spectateur, tout comme Chu (Charles Chu, également co-réalisateur), se retrouve plongé dans cet univers simplifié à l’extrême par la barrière de la langue. Dans un contexte de nécessité de trouver des résonnances entre deux cultures – sud-coréenne et américaine –, le cliché devient alors une forme particulière de rhétorique déliant les langues par la banalité des représentations réciproques. Le cliché du canevas scénaristique propre aux récits d’initiation permet, quant à lui, à Chu et Gavin Kelly d’avoir une assise confortable pour véritablement proposer une vision singulière : celle d’être en décalage aussi bien avec dans son environnement extérieur qu’intérieur.


Chu & Blossum trouve alors son expressivité dans la volonté paradoxale de montrer la solitude d’un personnage par son omniprésence. Il habite l’image sans pour autant arriver à s’y incruster. Il se superpose à son environnement comme lorsqu’il se retrouve dans les premières images du film superficiellement inséré à la peinture murale léchée de l’université. L’arbre desséché, esseulé au milieu des autres verdoyants, devient alors son égal : un être présent et pourtant absent de la société. Chu doit alors progressivement dompter un espace vide par ses propres émanations : il accroche des origamis, son armée qui lui viendra en aide ; il photographie les détails qui affleurent dans la ville pour rendre compte des laissés-pour-compte de la perception humaine.


L’élan du long-métrage réside alors dans cette capacité à sortir du simple récit de déracinement inter-national pour gagner une dimension intra-nationale. Chu & Blossum se veut alors le portrait d’une humanité autre qui se reconnaît en dehors des frontières tracées justement par cette altérité. Chu rencontre alors Butch Blossom (Ryan O’Nan), un artiste-fou incompris, et Cherry Swade (Caitlin Stasey), une camarade de classe anticonformiste. Il s’agit ainsi pour chacun des trois personnages de parvenir à s’inscrire dans son propre espace mental. Le film se nourrit de cette image de la locuste, une larve restant 17 ans sous terre, pour leur permettre de déployer les ailes de leur propre autonomie, de leur propre liberté. Le cas de Chu est le seul véritablement travaillé par la mise en scène. Les réalisateurs font s’entrechoquer les différentes strates de la pensée du personnage : de sa propre faiblesse à son modèle fraternel décédé en passant surtout par les strictes parents sud-coréens qui arrivent quant à eux, malgré la distance, à s’installer dans l’image de Kelly et Chu.


Les personnages secondaires parviennent à créer parfois un décalage supplémentaire amenant un peu d’humour comme les différentes scènes montrant Blossum, déluré, travaillant à forger un esprit contestataire à des enfants dans la bibliothèque municipale où il travaille. Néanmoins tout comme la sonorité de leurs noms, ils ne parviennent jamais à dépasser leur statut d’archétype d’une Amérique de pellicule. Ils sont uniquement le fruit d’un fantasme de ses outlaws contemporains. En reprenant les codes paradoxaux de l’originalité éculée, les réalisateurs imposent une sur-fiction à un récit qui gagnait dans un premier temps justement sur le tableau inverse de la poésie du quotidien.


L’œuvre patine alors justement dans sa deuxième partie d’une volonté de montrer une singularité par la fade banalité des péripéties du récit initiatique et de la prise de conscience. Chu & Blossum commençait presque, sur une tonalité mineure propre aux films secondaires, sur les chemins d’un cinéma d’introspection cherchant l’étincelle intérieure de la même manière que la caméra cherchait la lumière. Pourtant, il ne peut s’empêcher de se conformer progressivement à ce que son schéma narratif le cantonnait : une réflexion en demi-teinte sur l’initiation. Les cinéastes oublient la question de l’inscription dans l’espace pour alors barboter dans les eaux troubles du sentimentalisme notamment par le biais de flashbacks naïfs sur le deuil fraternel.


Chu & Blossum est, par extrapolation, un ascenseur émotionnel : un objet filmique sans-attente qui surprend par sa tonalité de douce comédie existentielle pour se heurter au déjà-vu de plus en plus constant du cinéma indépendant américain.


Le Cinéma du Spectateur

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le 8 oct. 2015

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