Y a t'il meilleur chose que d'écouter Chuck Berry chanter? Pour sûr, il y a Chuck Berry qui joue de la guitare. Ce que l'on sait moins, c'est que c'est méga top d'écouter Chuck Berry parler. Surtout quand il parle d'argent.


Oh! Oh! Belle introduction que l'intéressé saluerait lui même, j'en suis sûr, pour commencer à partager ma perception de ce doc consacré au père du rock n' roll, à notre père à tous, Chuck Berry.


Pour rappeler un peu la définition du documentaire, même en pratiquant la caméra dans des combinaisons les plus complexes, en montant les images au cordeau, le genre ne peut éviter de raconter autre chose que la vérité. Je ne conteste pas les tentatives de trucages ou d'influences de je ne sais combien de réalisateurs, ni le nombre de gens bernés lors d'une simple projection mais aucune image enregistrée ne peut défier la vérité face à de multiples projections.


De ce fait, le premier sentiment que l'on perçoit, quand Taylor Hackford et Keith Richards se sont mis en tête de filmer la légende, c'est qu'il n'ont réussi à ne filmer que l'homme. Avec du recul, ils ont du saisir l'aboutissement de l’œuvre mais la vérité ne pouvant faire défaut à l’œil mécanique, l'évidence s'impose que chacun n'a pas voulu faire le même film et que Chuck, à travers toutes ses gesticulations, narrées dans les bonus, a réussi à imposer, non pas sa vision, mais sa personne, avec ses qualités et ses défauts.


Le film se décompose en deux grosses parties. la première qui raconte Chuck et l'émergence du rock n' roll, la deuxième qui fête les soixante ans de l'énergumène à travers un concert initié par Keith Richards. Les deux parties sont étroitement liées. Chuck étant un radin de première, il ne s'encombre jamais de masse salariale genre un groupe, un manager où autres bullshit jobs parasites et s'il est sollicité pour un concert, il se déplace seul avec sa guitare. Ainsi, il vous invite à trouver un groupe local pour le seconder le temps du spectacle. L'idée de Keith Richards fut donc d'offrir un groupe à la hauteur du talent de son héros.


L'anecdote raconte que Chuck s'est fait payer comme pour n'importe quelle prestation pour faire ce film. C'est ainsi que la production l'a tout d'abord employé pour aller faire un petit concert à Saint Louis, lieu de naissance, de jeunesse et des premières armes de la star en devenir, dans les conditions habituelles. Cela permet d'illustrer le paragraphe précédent, de faire intervenir Bruce Springteen qui, dans ses jeunes années l'a accompagné en tant que tel, de découvrir le premier club dans lequel Chuck a officié et de rencontrer son comptable. Un type discret qui a les particularités d'être invisible, muet, d'avoir une mémoire sans faille et de n'avoir jamais quitté Chuck d'une semelle. Dans ces termes, retrouver l'endroit de sa jeunesse permet à Chuck d'éplucher ses premières factures.


Le tout étant émaillé, bien sûr, d'un tas d'interview à la gloire de Chuck, d'une part, dans un décor neutre, nous découvrons Carl Perkins, les Everly Brothers, le Boss et Roy Orbison, d'autre part, Little Richards et Bo Diddley interviewés ensemble dans un décor, semble t-il, privé, même si dépourvu de charme derrière un piano. L'histoire qui s'en dégage, c'est qu'ils sont tous d'accord que Chuck "est" le rock n' roll. Sauf que par la suite, le genre fut dédié aux blancs, qui en accomplissaient des variantes javelisées, pendant que les noirs furent catalogué dans la section R&B. Chaque couleur/style ayant son classement, ses "charts".


De fil en aiguille, nous approchons du concert final mais Taylor Hackford a eu le flair d'aller filmer les répétitions. C'est ainsi que nous allons constater la relative indifférence de Chuck pour ce qui lui semble un cirque, il pollue toute la séance à jouer au coq, à titiller l'autre idole, la mienne, avec une prise de bec célèbre pour le volume d'un ampli. Une surenchère d'égo qui culmine lors de la répète de Carol, lorsque Chuck interrompt sans cesse Keith, à l’ouvrage pour le riff, affichant son insatisfaction dans sa mise en œuvre du bend qui lance la chanson. Une fois, deux fois, trois fois, ça nous semble plus que correct à nous, spectateur lambda, mais non, on sent l'envie de le rabaisser jusqu'au moment où Chuck lui souffle cette simple note de la manière la plus parfaite qui soit. Mine de rien, vient de se dérouler l'illustration la plus précise du caractère de la rock star, la vraie, et si elle se réalise aux dépends du guitariste des Rolling Stones, la dévotion de celui ci est toute à son honneur.


His mother told him "someday you will be a man
And you will be the leader of a big old band
Many people coming from miles around
To hear you play your music when the sun go down
Maybe someday your name will be in lights
Saying "Johnny B. Goode tonight"


Par rapport à ce qui a été dit plus haut sur les classements de ventes de disques pour blancs ou noirs, on peut aussi mettre en perspective les films plus récents comme "Ray" ou celui des Temptations dans lesquels il était important, pour un artiste noir, de toucher le public blanc, non seulement pour gagner de l'argent mais aussi pour l'acceptation de leurs conditions. Le moins que l'on puisse dire ici, est que le contraste est saisissant. OK, le prix des places ne devait pas être donné et ça influence la sélection du public mais de longs panoramiques sont régulièrement effectués dans le public et on n'y trouve que du WASP upper middle class à la mode eighties. Il faut prendre aussi en compte que ce genre de show honorifique est ancrée dans la tradition américaine et que ce n'est pas forcément ce qu'il y a de plus rock n' roll dans la vie.


Bref, un concert sympathique, sans plus, dans lequel Chuck étale sa convivialité. En particulier pour des guests telle que Linda Ronstadt, Etta James ou Robert Cray. Lorsque Julian Lennon monte sur scène, je dois avouer un à priori par rapport à un simple statut patrimonial mais la version de Johnny B. Goode est énergique et pointe une émotion quand il entame seul le refrain et qu'apparait une évidente similitude entre son chant et celui d'un autre chanteur à peine connu. Néanmoins, on ne peut nier la pique à Keith quand Chuck en rajoute des caisses dans la proximité avec le fils d'un concurrent historique (et néanmoins ami). Il en fera des tonnes aussi pour applaudir le guitar héro qui apparaitra peu de temps après, Eric Clapton qui, l'air de rien fait sa petite plus value dans le film en nous gratifiant d'une approche théorique du jeu de Berry, en lui rappelant les paroles d'une de ses chansons et de partir après un solo de mandoline, bien ceintré dans son costard Cerruti.


Plus personnellement, j'aime bien ce personnage de Chuck Berry, il montre plein de similitudes avec mon père, un personnage du même age, qui a le même rapport à l'argent, qui, à sa manière, est aussi haut en couleur et que j'ai pu apprendre à connaitre en le filmant. De ce que j'ai appris de ce dernier, quand on vient d'une minorité, il faut savoir, tout d'abord, s'élever parmi elle. Celle ci est, non seulement, prête à aider les plus entreprenants à prendre leur envol, mais en gardera toujours une reconnaissance. Pour Chuck, on le constate à travers le récit de Johnny Johnson, pianiste de talent, auquel il doit sûrement manquer une épaisseur de caractère pour le show business, qui a donné son groupe et son riff, au futur créateur de Johnny B. Goode, qui ne l'a plus vu pendant des années et qui ne garde aucune amertume. Il se trouve simplement heureux d'avoir participé à l'aventure. En gardant pour exemple mon paternel, je sais aussi que toute cette mise en scène, c'est du pipeau, une manière de se faire bien voir dans le monde où il faut se faire voir. Le vrai Chuck, on l'aperçoit en famille avec ses ainés où alors en retrait de l'interview de Bo Didley et Little Richards. Pas un homme exempt de défaut, mais un homme qui ne coure plus.

Toshiba
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le 3 juin 2020

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